The show-case must go on: Au dedans des Volcans par M.
Publié le 21 Janvier 2015
Il suffisait d'attendre... Le correspondant M. nous délivre enfin ses impressions sur le show case de samedi. Pantouflard comme pas deux, il n'aura donc pas eu besoin de trop s'éloigner de son antre, ni d'appeler Blablacar au secours pour s'y rendre. Il nous livre ses impressions personnelles sans blabla, mais avec de jolis dessins...(photos et set-list à retrouver dans l'article précédent)
Comme un p'tit Koloko, mon âme...
Un show-case aux Volcans, dix jours après un séisme...
C'est au moment où tout semblait s'effondrer que les salariés des Volcans, pour sauver leur peau et probablement un peu de leur passion, ont commencé à démarcher des artistes, histoire d'obtenir un coup de main symbolique. Quelques gars du coin s'y sont collés, ainsi qu'Emmanuelle Béart ou Moustic, venus dire leur attachement à la culture. On connaît la suite. Soutien massif du public, grosse gamberge en interne, appui des politiques (municipales obligent), escarmouches juridiques et, au final, une réouverture sous forme de SCOP. À partir de là, fini le temps où l'on était simple libraire ou disquaire ; chacun devient un peu tout à la fois : actionnaire, comptable, secrétaire, manutentionnaire... Les mains dans le cambouis. Drôle d'itinéraire que celui de cette vieille enseigne clermontoise qui n'avait rien de la petite-librairie-indépendante-de-quartier et qui se retrouve à porter haut les valeurs d'une sorte d'autogestion. Celles et ceux qui sont encore là aujourd'hui, sans être des héros, auront donc quand même dû mouiller leur chemise et faire preuve de courage, de foi, d'esprit d'équipe. De cœur. « Qu'est-ce qu'au fond du cœur / au fond du cœur là-bas / Qu'est-ce que c'est ? » Depuis, Les Volcans invitent, en plus des écrivains, des musiciens – tous genres confondus – pour des mini-concerts. Murat, qui avait suivi l'aventure de loin, vient donc faire résonner sa guitare ce samedi après-midi, hors-promo, avec ses Delano. Une journée de janvier pas trop frisquette où l'on adresse encore ses vœux, plus par habitude que par conviction, l'année ayant débuté... disons... couci-couça. Et le voici qui fend une foule compacte sur les coups de 17h00, escorté de Lopez, Rochon, Pie et Quinet. On embarque...
Mais où est Charlie, se dit-on ? Charlie, Guillaume, qu'importe son nom exact, n'était pas dispo. Pas là, pas loin, pas grave – il sera au théâtre dans quelques jours. On regarde donc ces cinq-là en se demandant si les occasions de les revoir ensemble seront encore nombreuses. On mesure aussi le chemin parcouru depuis le concert fondateur sur Inter. Quatorze mois, qu'on n'a quasiment pas vu passer... Qu'en reste-t-il ? Comme au bout de n'importe quel voyage, sans doute d'abord le plaisir de la rencontre et du partage. À saisir les sourires de Mathieu Lopez, penché sur sa guitare acoustique, en réponse aux riffs taquins que lui adresse JLM, comme pour le déstabiliser, on songe que la complicité entre eux paraît sincère, pas surjouée, émancipée de tout surmoi marketing. À l'issue du concert d'Elysian Fields au Tremplin, Murat avait quitté le hall accompagné de Madame, en lançant au jeune Lopez : « Bosse la guitare pour demain. Bosse la guitare ! » Comme un pote de vestiaire, qui se prendrait pour un père, qui jouerait au grand frère... Ou quelque chose d'approchant. On augmente justement le volume de son instrument pour mieux l'entendre – à cette heure-ci, on peut encore se payer le luxe de mépriser les voisins. Les ajustements se font en direct, sans pression, sur des morceaux étirés et déstructurés à souhait. « On ne va pas se refaire le drame / Faut pas y compter ». V'là le Col de Diane avalé...
Séquence déshabillage pour le leader du combo – il fait chaud, dans un volcan. Il prend son temps, concède qu'il n'a pas envie de chanter. Se tournant sur la gauche, vers les affiches du Rendez-vous du Carnet de voyage, il explique : « Ça m'a coupé la chique leur histoire. Depuis, j'ai pas chanté. » Michel Renaud, Clermontois d'adoption, avait fondé ce festival avec une poignée de copains, tous fous de voyages. Ce mercredi-là, il est monté à Paris avec un ami pour rendre à Cabu des dessins que celui-ci lui avait confiés, quelques semaines plus tôt, lors de la quinzième édition. « Ça vous dirait de rester, on va attaquer la conférence de rédaction ? » ............ Quelques photos du dessinateur de passage à Clermont sont aussi accrochées derrière Alex et Mathieu. Rien de morbide ou de glauque, mais ce genre d'environnement pèse son poids, forcément... « Je ne veux plus chanter / j'ai chanté trop abondamment ». Murat ne change pas fondamentalement ses habitudes, pourtant. Deux-trois vers, un bout de refrain, un demi-couplet, la même strophe répétée deux fois. « Lalala » pour combler les trous de mémoire. Le groupe s'est complètement approprié les chansons, alors autant en jouer comme d'un vieux chewing-gum : les mâchouiller longuement, les étirer, en faire des boules, puis des bulles, les éclater, les reprendre en bouche, etc. JLM n'a jamais donné dans le récital, c'est ainsi qu'on l'aime.
Pour ceux qui ont l'artiste moins chevillé à l'épiderme que nous, l'exercice peut être surprenant, voire désagréable. « On ne comprend pas ce qu'il chante ». Exact. So what ? En plus, il se tient exprès à un bon mètre cinquante du micro. Mais globalement, les spectateurs, venus en nombre, restent et les applaudissements nourris augmentent même en intensité, synchrones avec le set. De Michel Renaud, 69 ans, marié, père de deux enfants, ses amis disent : « Si les échanges pouvaient être parfois houleux, ils étaient constructifs et l'amitié toujours reprenait le dessus. » Dans l'assistance, on aperçoit Barbara, devenue muratienne au début des années 90, sur et sans « Regrets ». Elle s'est levée à l'aube à Lausanne et a voyagé huit heures pour venir écouter trois quarts d’heure de show-case. Moins long, mais non dénué d'obstacles, le trajet que ce type a accompli avec son garçon à travers les rangées de spectateurs, pour lui permettre de voir correctement. Tenace, il a réussi à s'asseoir par terre, au premier rang, son gamin devant lui. Il y en a d'ailleurs quelques autres, des gosses. On imagine déjà la prochaine rédac' : « Samedi, je sui zalé à la librairi avec mé parents pour voir Jean-Louis Mura... » Toujours au rayon marmaille, on devine Paloma (celle de la chanson) dans les bras maternels et l'on entrevoit Justine et Gaspard B., attentifs au travail de Papa. « Pourquoi raconter l'histoire / de la chose qui finit mal / Faut pas faire de mal aux petits / quand il neige au Sancy ».
Il y a donc des marmots... et même un chien. Oui, un petit, là, juste derrière, dans les bras de sa maîtresse. Tranquille, il ne bouge pas. Il n'a pas intérêt, notre attention est à présent tout entière vouée à d'autres animaux, plus petits et nombreux, les « Frelons d'Asie ». Gare au bourdon ! Si « Extraordinaire Voodoo » avait constitué pour nous l'incontestable sommet de la première partie de tournée avec le Delano, ce titre-ci est à nos oreilles LE morceau de la tournée post-Babel. Étrangement, les raisons de notre engouement sont presque inverses. La chanson tirée de Toboggan nous faisait l'effet d'une éclosion, d'un long étirement distordu se finissant en apothéose, qui nous laissait – nous laisse encore, à la réécoute – tétanisé d'émotion. En entendant « Frelons d'Asie », au contraire, on croirait l'éclosion impossible. Ici, pas de déploiement, on reste comme englué dans la mélancolie et la trompette, plus moriconienne que jamais, suit son chemin avec la sérénité impitoyable du destin, indifférente aux cris du chanteur. Ce qui doit s'accomplir s'accomplira. « Si le chien est le gabarit / Je ne veux plus te tourner / Adieu / Volcans chéris ». Mais non, enfin, Jean-Louis ! « Bonjour Volcans chéris ! » La librairie a rouvert, les lauriers ne sont plus coupés, nous retournerons aux bois, c'est sûr, dans la forêt, siège de cette âme qu'on nous arrache. Et pourtant, pourtant... Cette trompette qui avance, qui avance... Irrémédiablement.
Un « Mujade ribe » de haute volée et c'est déjà fini. On consulte le chanteur : se fendra-t-il d'une déclaration sur la librairie, Charlie, l'état du monde ou la recrudescence des vols de sacs à main ? Un mot pour Anita Ekberg, peut-être ? Non, silence, c'est mieux. Il ne se défile pas pour autant, accepte volontiers de dédicacer ses disques, écoute les anecdotes de chacun d'une oreille distraite, répond aux questions, taquine, vanne, consent aux photos... C'est rare ça, d'ailleurs, les photos. Tout le monde a pu se faire plaisir aujourd'hui, amateurs comme professionnels. Et le chanteur semble y avoir survécu. On emporte le plateau de fromages au premier pour l'après-concert entre musiciens. Christophe Pie range sa batterie et plie le tapis sur lequel elle était posée, aidé par Gaspard. Le choriste et coauteur de « Camping à la ferme » fait ses classes de roadie – « Je suis Christophe ! ». Plus tard, s'il est sage, Pie lui montrera que son tapis peut aussi servir de tapis volant et l'emmènera en balade aérienne vers des contrées plus clémentes. En attendant, on a les deux pieds sur la Terre, alors on va jeter un œil aux photographies d'un Cabu tout sourire, prises à Clermont, au mois de novembre. « Je suis Charlie ! ». « Où vont les morts ? / Mujade Ribe / arrête d'y penser ».
Le public se disperse, on passe devant des livres dits beaux, soldés à des prix fous. Un petit groupe se forme – des fans de la première heure, des plus récents, d'autres qui ne le deviendront jamais. Matthieu, avec son look de Christ amoché qui aurait piétiné le cœur de l'aimée depuis belle lurette, a décidé de combattre sa réputation de « Pire organisateur d'after du monde ». Faussement enthousiaste, il lance : « On pourrait aller au Long John ? Long John... comme la chanson ? » Et le voilà parti avec ses apôtres, une Helvète, deux Franciliennes et un Cantalou, en direction de ce repaire de pirates bretons venus se planquer en Auvergne, avec leur trésor de bières. Traversée nocturne du centre-ville et débriefing de ce Koloko-en-hiver. Sur la place Jaude, la grande roue a disparu, laissant la place, sur le sol, à des inscriptions en tous genres. Charlie encore, Charlie toujours. Passage place Sugny, à deux pas du lieu de répétitions de Passions privées. Et puis l'arrivée au bistrot, enfin. Un Long John sans Morgane, plein à craquer de supporteurs, tous smartphones allumés... Drôle de sensation. « Il est temps fuyons / reprenons la mer Long / comme goélands / que nous porte le vent ». On songe au chanteur, qui confiait tout à l'heure débuter les répétitions avec ses nouveaux musiciens à partir de lundi. Avouant, avec un sourire, ne pas savoir du tout où il allait. Mais se préparant à y aller quand même.
Oui, il faut aller voir.
Il faut aller voir.
Aller voir.
Les affiches du Rendez-vous du Carnet de voyage utilisées pour illustrer cet article ont été créées, dans l'ordre d'apparition, par : Troub's, Claire et Reno Marca, Stefano Faravelli, Beb-deum, Damien Roudeau.
Le dessin de Bibendum a été réalisé par Cabu pour illustrer la une de La Montagne du 16 novembre 2014.
Le dessin en hommage à Michel Renaud est l’œuvre de Tazab.
Tous les renseignements sur ce festival – qui survivra à son créateur – sur le site officiel : http://www.rendezvous-carnetdevoyage.com/. Il est d'ailleurs possible d'y acheter des reproductions des affiches officielles.
Et pour suivre l'actualité de la librairie Les Volcans, on se rendra sur son blog : http://amislibvolcans.canalblog.com/