Inter-ViOUS et MURAT- n°4 : STEPHANE PRIN
Publié le 15 Avril 2010
Et bien, ce soir, fêtons dignement l'arrivée de surjeanlouismurat@over-blog.com à la 57e place du "top des over-blogs" (catégorie "musique")! J'en profite pour vous remercier de vos messages d'encouragement, et de vos commentaires, et je suis très fier de vous faire partager cette nouvelle interview exclusive !!
Inter-ViOUS et MURAT-, numéro 4 :
STEPHANE PRIN (première partie)
Si Christophe Pie semble imbattable pour le nombre de participations aux albums de Jean-Louis Murat, pas très loin derrière, on trouve un homme derrière la vitre, un homme de consoles. Stéphane Prin !
Il était aux manettes pour Lilith, a bird on a poire, Moscou, le Moujik, 1829 et le parfum d’acacias. Il apparait également sur Dolores, Madame Deshoulières comme assistant.
Son travail avec Murat est souvent mis en avant, mais il a aussi travaillé avec : Florent MARCHET (Gargilesse), Camille, Debout sur le Zinc, Noir désir, Buzy (qui a sorti un album avec un titre de Manset), la grande Sophie, Tiersen et Fersen,Florian Mona, Oldelaf et Monsieur D, Overhead, DUM DUM, Benjamin PAULIN, Martin RAPPENEAU, Dick annegard, Compay Secundo et un certain Fred JIMENEZ ... Enfin, il est aussi crédité dans le meilleur album des années 90 (Victoire de la musique) : Fantaisie Militaire de Bashung.
Une interViOUS et MURAT qui nous permettra d’en apprendre plus je l’espère sur le travail en studio avec Jean-Louis Murat et "l'accouchement" des albums.
Stéphane Prin, bonjour!
- J'aimerais commencer par une question pour que l'on comprenne mieux le travail en studio. Je ne suis pas sûr de le comprendre tout-à-fait! Quelle est la répartition des rôles entre le producteur, l'ingénieur du son, l'assistant et l'artiste? Quand est-ce que l'ingé son devient producteur?
S. PRIN : Comme dans tout système de production efficace, il y a une hiérarchie plus ou moins respectée.
Dans la musique, métiers de troubadours anarchistes :-), c'est aussi le cas en théorie. En pratique, c'est souvent plus flou. N'oublions pas que c'est un milieu de passionnés et d' "amateurs"( au sens premier du terme, gens qui AIMENT!) bien plus que de professionnels.
Nous avons donc dans l'ordre:
L'artiste ( à comprendre comme auteur, compositeur, interprète dans ce cas précis), qui a fait ses chansons et a quelques fois des idées d'arrangement. Il est maître de son oeuvre. Il sait ce qu'il veut, mais pas toujours comment y arriver. C'est pourquoi il fait appel à un réalisateur.
Le réalisateur est la personne qui sait comment faire pour exhausser les vœux de l'artiste. Il doit être à la fois musicien, technicien, psychologue et créatif. Il est sensé faire l'interface ou l'interprète entre l'artiste et les musiciens, l'ingénieur du son, l'assistant et même la maison de disque de temps en temps. C'est le maître artistique du projet même si c'est l'artiste qui garde toujours le "final cut", portant le projet à bout de bras pendant plusieurs années et en est responsable. Il doit donc en être content.
L'ingénieur du son est celui qui gère toute la partie technique de l'enregistrement d'un album. Il est au service du réalisateur et met en pratique ce que ce dernier a en tête. Il peut bien sûr être de bon conseil et avoir des idées, mais ne connaît pas forcément la genèse artistique du projet. Il sait en revanche comment obtenir l'esthétique sonore indiquée par le réalisateur.
Il est aidé pour cela par l'assistant, censé s'y connaître techniquement quasi aussi bien que l'ingénieur et assigné à un studio ( alors que c'est rarement le cas pour l'ingénieur). Il connait toutes les spécificités techniques du studio afin d'aider l'ingénieur à faire ce qu'il veut. C'est un réel soutien à l'ingéson puisqu'il faut parfois avoir 4 mains et 4 oreilles pour faire certaines choses dans un studio ( c'était notamment vrai lorsqu'on travaillait encore sur bandes, il y avait beaucoup de machines à gérer en même temps.) En revanche, il n'a généralement pas l'expérience de l'ingénieur et apprend en travaillant à ses côtés.
Ca, c'est la théorie. En pratique, les rôles ne sont pas aussi clairs. Il m'est arrivé en tant qu'assistant de faire le boulot de l'ingéson incompétent notoire, de diriger des musiciens et des créations esthétiques alors que j'étais ingénieur du son, et il m'arrive de plus en plus souvent de changer des accords ou de toucher aux arrangements d'une chanson, outrepassant mon rôle de réalisateur normalement. C'est le résultat qui compte après tout et si le disque est bien et l'artiste content, tout le monde s'y retrouve.
C'est d'ailleurs grâce à ces "passe-droits" qu'on a la possibilité de passer d'assistant à ingéson, d'ingéson à réalisateur, de réalisateur à compositeur etc..
C'est d'ailleurs grâce à Jean-Louis Murat que je suis passé du statut de stagiaire à assistant (Dolores), d'assistant à ingéson (Madame Deshoulière et Le moujik), d'ingéson à Co-réal (Bird) et que Fred Jimenez est passé de musicien à compositeur (Bird). Jean-Louis Murat étant artiste et réalisateur de ses disques, il sait responsabiliser les gens, c'est une grande qualité et assez rare dans ce métier.
- Alors, si je vous suis, vous étiez rattaché au studio Davout, au moment de Dolores, album pour lequel vous étiez assistant ( mention de votre nom et prénom sur le livret: sur d'autres albums, les assistants n'ont droit qu'à leur prénom)? Votre rencontre date de là? Quels souvenirs avez-vous de cette session?
S. PRIN : Des souvenirs incroyables forcément. Je suis entré à Davout comme stagiaire alors que j'étais encore à l'école. Au bout d'un mois, Jean-Louis Murat est arrivé pour enregistrer Dolores et rester 6 mois. Il m'a imposé auprès de Davout pour que je reste les 6 mois. Davout a donc été obligé de m'embaucher comme assistant. Et 6 mois enfermé avec Murat à faire toutes les expérimentations possibles pour pousser la Prod de cette album le plus loin possible, ça marque et ça forme!! C'était extrêmement enrichissant et assez éprouvant.
Je crois que c'est la raison pour laquelle, Jean Louis s'est dit par la suite " plus jamais ça!" et a fait des albums impulsifs et rapides après.
- Qu'est-ce que Murat a détecté chez ce jeune stagiaire pour ainsi le prendre sous son aile? juste la motivation?
S. PRIN : Etant tout jeune, je n'avais pas d'expérience, donc pas de préjugés sur la façon dont on travaille un disque. Murat mettant un point d'honneur à être avant gardiste, ou en tout cas différent de la norme, cela a dû lui plaire de trouver quelqu'un qui s'impliquait à fond dans les idées qu'il proposait aussi improbables qu'elles soient. De plus, son côté un peu râleur et anticonformiste me plaisait bien et ça devait se sentir. Jean-Louis est quelqu'un de fidèle et quand il aime bien quelqu'un, c'est pour un moment. J'avais la chance de faire partie de ces gens là.
J'avais 20 ans , Jean Louis était hyper charismatique, donc j'étais assez impressionné et hyper motivé en même temps. Je pense qu'il l'a vu et ça lui a plu.
On était dans la recherche de prod la plus libre possible. C'était le début de l'informatique musicale donc on essayait tous les nouveaux outils, des recherches de sons des jours durant, des versions de morceaux diamétralement opposées, bref, un vrai labo. Je pense qu'il existe trois ou quatre versions complètes de chaque morceau. Imaginez donc l'impact sur un jeune étudiant en son que j'étais...
- Christophe Dupouy raconte beaucoup de choses sur l'élaboration de l'album là:
http://franck.ernould.perso.sfr.fr/dupouy.html
Murat explique souvent son refus d'avoir un producteur par son expérience avec Dolores avec Tim Simenon mais cette rencontre a quand même été prédominante par l'importation des "outils" de l'anglais (Christophe Dupouy parle "d'espionnage industriel")... Qu'est-ce que ce logiciel protools par exemple? J'aimerais aussi en savoir plus sur le rôle de Clavaizolle, notamment du fait que Murat a une image d'individualiste, d'égocentrique? Comment travaille-t-il avec les autres?
S. PRIN: Murat est un Artiste avec de la hauteur et une vision assez globale de son œuvre je pense. Il a des lignes directrices sur ce qu'il veut faire, des ambitions et une vue globale. En revanche, il ne s'encombre pas l'esprit de détails, et n'est pas très technicien, c'est pourquoi il a quand même besoin de s'entourer pour réaliser ses projets. Cela lui permet d'exprimer la vision d'ensemble afin que les autres approfondissent ce qui lui correspond. Ca a été notamment le rôle de Denis Clavaizolle, un multi-instrumentiste très doué qui comprenait ce que voulait Jean-Louis et le retransmettait en harmonie, en intention et en arrangement. C'était aussi un interlocuteur technique pour pouvoir ajuster celles "empruntées" à Simenon au même titre que Christophe Dupouy, et Christian Lachenal. Ils poussaient tous la prod le plus loin possible avec ce logiciel Protools, arrivé récemment sur le marché, qui permettait d'enregistrer d'une toute nouvelle façon, puisque les pistes n'étaient plus figées comme sur les bandes, mais pouvaient encore être trafiquées, coupées, accélérées, accordées, modelées pour en faire tout autre chose. Des perspectives très larges s'ouvraient.
sur la tournée Mustango
- Vous parlez d'un Murat peu technicien?... mais il a je crois une belle collection d'ampli, de micro, de guitares, d'instruments...
S. PRIN: Tout à fait, mais les collectionneurs de voitures de course ne sont pas forcément garagistes et mécaniciens me semble-t-il?:-) mais ils connaissent les qualités de chacune.
- Après la tournée Mustango, c'est le raz de bol des machines et des claviers, même si Madame Deshoulières est un peu "électro"... c'est là que vous réapparaissez, toujours comme assistant... Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur cette session?
S. PRIN: L'idée était de faire un album concept, comme une seule chanson qui raconterait une seule histoire. Donc techniquement, c'était compliqué, on avait tout l'album sur une seule session protools, donc il fallait gérer toutes les chansons en même temps et avoir tout en tête à tout moment...je rentrais tous les soir avec une migraine comme jamais je n'ai eu depuis. L'autre concept était d'intégrer une actrice (non chanteuse) aux côtés de Jean-Louis pour que les voix s'accordent bien malgré les différences de savoir faire. Et enfin, la dernière idée était de mélanger un quatuor à cordes façon musique de chambre à des mélanges de sons et des chansons très actuelles. Assez compliqué mais une fois de plus un challenge à relever et donc passionnant à faire.
- ... Est-ce à dire pour Isabelle Huppert que vous avez dû retravailler au logiciel sa voix (JLM parle dans une interview d'un de ses amis ingénieur du son obligé pour le disque des resto du coeur de faire mouliner toutes les voix par un logiciel du fait de leur fausseté, je ne sais pas si c'était vous?)?
S. PRIN: Pour faire un disque, on cherche tout le temps a améliorer ce qu'on a, ça peut passer par le fait d'ajuster certaines choses qu'on ne peut pas refaire et qui ne sont pas assez précises. Donc il arrive souvent, sur absolument tous les disques maintenant, qu'on utilise plus ou moins cette méthode d'accordage. Rien de dénonciateur la dedans...
protools...
- Qu'est-ce que cela signifie "une seule session protools"? Il n'y avait pas de découpage morceau par morceau ?
S. PRIN: Voilà, c'est ça. Normalement on organise la gestion technique d'un enregistrement par morceau. Et là, c'était tout l'album d'un bloc, car tout devait s'enchaîner.
- Cet enchainement, on le retrouve sur "le fil" de Camille (avec le bourdon). Est-ce que vous avez utilisé le même procédé?
S. PRIN: Non non, le fil a été travaillé normalement, le bourdon a juste été ajouté à chaque chanson, mais il n'était pas necessaire d'avoir l'enchainement total des chansons pour avoir une vue d'ensemble. Le bourdon est le même sur tous les morceaux, pas la peine de se compliquer le travail inutilement.
- Alors, après ces enregistrements compliqués, on comprend mieux l'envie de simplicité qui a présidé au "moujik"... et c'est la première fois que vous êtes le chef aux manettes! Jean-Louis Murat parle d'une période très difficile en amont, qu'il était au fond du trou, d'ailleurs, il s'adjoint Christophe Pie à la production car il se dit un peu perdu... mais la session était plus joyeuse ("on jouait au foot, il y avait la piscine, on fumait des joints, il faisait beau..." dit il dans le soir).
S. PRIN : Je n'ai pas bien suivi cette période difficile, je n'ai pas été au fait de tout ça, je crois que ça correspondait avec des changements de collaborateurs, maison de disque notamment. Mais un jour, il m'a appelé, et m'a dit qu'il voulait faire un album un peu retiré, loin de Paris, avec du sang neuf. Je connaissais un studio génial, perdu au milieu de la forêt des Landes, et je savais qu'il adorerait et que ça le détendrait... Ça a été le cas. Et je me suis du coup retrouvé avec bien plus de responsabilités. Ça tombait au bon moment, pour lui comme pour moi. Une nouvelle équipe de musiciens, plus roots, plus libres aussi, l'idée était moins précise dans la tête de Jean-Louis, si ce n'est qu'il voulait de la fraicheur, de la simplicité, et garder ce qui se passait de plus improbable pour avoir une vérité sur les bandes.
De là est venu aussi le plaisir de jouer en live pour créer en studio, et le son que j'aimais faire correspondait bien avec cette méthode d'enregistrement. D'où un résultat plus cru, plus sauvage et plus rock tout en ayant été fait dans une ambiance plus relax et détendue que d'ordinaire ( foot, piscine, campagne, bouffes, calme etc...)
- On en arrive alors à Lilith... gros morceau... gros morceaux... Que dire sur cette session? Jean-louis a raconté qu'il était parti du studio et laissé carte blanche à Camille pour faire les chœurs?
S. PRIN : Lilith, pour moi le meilleur album de Murat, et pas parce que j'y ai contribué, mais parce qu'il y a ses meilleures chansons, les meilleures mélodies qu'il ait faites, peut-être les meilleurs textes aussi, en tout cas ceux qui me touchaient le plus.
Et vous, qu'en pensez-vous? Quel est le meilleur album de Murat jusqu'à présent?
Après l'expérience du manoir dans les Landes, Jean-Louis avait de très bons souvenirs des prises live jouées ensemble dans une même pièce au son boisé du studio. Il m'a donc demandé de trouver un endroit qui ressemble le plus possible au Manoir mais à Paris.
J'ai trouvé un studio ressemblant, pour appuyer l'esthétique rock et blues qui pouvait ressortir des chansons de Jean-Louis. Fred a appelé un batteur qu'il connaissait pour faire un trio idéal et c'était parti pour enregistrer en groupe.
Jean-Louis avait préparé vingt morceaux pour n'en garder que dix au final comme il fait souvent, mais à l'écoute des prises, tout était bien, chaque morceau était réussi. Il aimait l'identité de chaque chanson. Un double album non prévu se dessinait.
Du coup, pour éviter que le disque paraisse long, il a fallu diversifier un peu les couleurs de certaines chansons, d'où l'apport d'orchestre à cordes sur certains titres, des chœurs de Camille (que Jean-Louis connaissait depuis longtemps), ou de la trompette de Belmondo.
Un jour, alors que l'album était presque fini et que Jean-Louis était derrière le micro pour enregistrer une des dernières voix, il prend sa guitare, la branche dans son ampli, le met à fond, et me dit de lui ouvrir une piste. Il enregistre d' un trait les jours du jaguar qu'il avait écrit la veille, sans prévenir quiconque. Stéphane Reynaud étant retourné en Savoie, Fred a joué là-dessus la basse et la batterie et en deux heures, le morceau était tel qu'il est sur le disque. J'ai essayé par la suite de le mixer trois fois sans jamais arriver à retrouver l'esprit qui se dégageait de la version ultra sauvage, faite hors de tout contrôle et toute prévision ce jour là. C'est cette version qui a été gardée finalement et qui se retrouve en outsider numéro 1 sur ce triptique vinyle qui résume assez bien, à mon goût, tous les talents de Murat.
La suite de l'interview à lire: