Inter-ViOUS ET MURAT- N° 13 : BERTRAND LOUIS
Publié le 20 Novembre 2013
BERTRAND LOUIS
Photo: Thibaut Derien
Un moment, j’ai cru pouvoir maintenir une fréquence régulière des Inter-ViOUS ET MURAT- mais l’énergie et la motivation ont un peu fléchi devant l’insuccès de démarches auprès de, par exemple, Olivier Adam, Arnaud Cathrine, Florent Marchet, Bernard Lenoir, Paul Mac Cartney (l’ancien des Beatles là, vous voyez), le Dalaï Lama et Ginette (la caissière du Shopi)... Et puis, après Françoise Hardy, Jeanne Cherhal, entre autres, et ceux qui nous ont livré tant d’histoires sur leur travail avec Jean-Louis Murat (Stéphane Prin, Cristophe Pie, Michel Zacha, et Alain Artaud), difficile de ne pas prendre des « goûts de luxe »… et de renoncer au caractère exceptionnel de ces rencontres…
Un moment, j’ai cru pouvoir maintenir une fréquence régulière des Inter-ViOUS ET MURAT- mais l’énergie et la motivation ont un peu fléchi devant l’insuccès de démarches auprès de, par exemple, Olivier Adam, Arnaud Cathrine, Florent Marchet, Bernard Lenoir, Paul Mac Cartney (l’ancien des Beatles là, vous voyez), le Dalaï Lama et Ginette (la caissière du Shopi)... Et puis, après Françoise Hardy, Jeanne Cherhal, entre autres, et ceux qui nous ont livré tant d’histoires sur leur travail avec Jean-Louis Murat (Stéphane Prin, Cristophe Pie, Michel Zacha, et Alain Artaud), difficile de ne pas prendre des « goûts de luxe »… et de renoncer au caractère exceptionnel de ces rencontres…
Et c’est donc la promesse d’une Inter-ViOUS ET MURAT très riche, ainsi que le coup de main décisif de Matthieu dans la préparation, et mon souhait de vous offrir un beau cadeau pour les 4 ans du blog (né le 2/12/2009), qui me fait sortir de ma retraite d'intervieweur. En effet, BERTRAND LOUIS, auteur-compositeur-interprète, sort un nouveau disque salué (encore une fois) par la critique (« Un coup de maitre » pour Rock and Folk « qui se hisse au niveau des réussites d’un Bashung et d’un Jean-Louis Murat », « le disque le plus jubilatoire et exaltant de cette année » selon Mandor).
L’album « SANS MOI » est une mise en musique de textes de PHILIPPE MURAY… l’auteur dont Murat a si souvent parlé, recommandant sa lecture par exemple dans des rencontres publics à la FNAC. On sait également qu'ils avaient eu une courte correspondance.
A la sortie d’un concert cette année, Murat m’a indiqué qu’il lui a été proposé de faire cette mise en musique il y'a quelques années... et qu'il avait ainsi écrit une musique pour « 10 septembre 2001 », poème également présent sur le disque de Bertrand Louis. Murat a renoncé au projet… peut-être par crainte du caractère un peu polémique de Muray : « c’était avant qu’il soit à la mode*, avant Lucchini» m’a-t-il dit. Il garde en mémoire par contre d’avoir fait diffuser une des interprétations de Muray par lui-même, un soir chez LENOIR… allant jusqu’à m’en citer un court passage, ravi de ce mauvais coup joué aux oreilles chastes d’Inter… Muray lui en avait été reconnaissant.
Alors, alors, Bertrand Louis était-il informé de tout cela ? Y avait-il l’ombre de Murat derrière ce projet ? Examinons cela, entre autres choses, avec celui qui pourrait devenir l’autre « ours » de la chanson française, ce qui ne l'a pas empêché d'avoir été d'une grande gentillesse avec moi. Bonne lecture... et écoute qui suivra j'espère, et j'exige, de "SANS MOI".
* "L'ironie féroce de l'écrivain, mort en 2006, le classa un temps du côté des « nouveaux réacs », avant qu'il ne bénéficie d'une reconnaissance quasi unanime". Valérie LEHOUX dans la chronique du disque de Bertrand LOUIS.
* "L'ironie féroce de l'écrivain, mort en 2006, le classa un temps du côté des « nouveaux réacs », avant qu'il ne bénéficie d'une reconnaissance quasi unanime". Valérie LEHOUX dans la chronique du disque de Bertrand LOUIS.
Bonjour Bertrand Louis!
- Quand j'ai appris que vous réalisiez un album autour des poèmes de Muray, je me suis demandé si c'était par Murat que vous aviez connu Muray (ce qui est le cas de beaucoup de muratiens, puisqu'il en a beaucoup parlé ou l'a proposé dans diverses sélections -rencontres fnac-). Quelle est la genèse du projet?
Bertrand LOUIS : J’ai découvert Philippe Muray dans une interview que Michel Houellebecq avait donnée sur le site « Le Ring », dans laquelle il parlait un peu de mon dernier disque et aussi de Muray.
Cela m’a intrigué et je me suis tout de suite procuré « Minimum Respect ». Cela a été un vrai coup de foudre et j’ai lu tout le reste dans la foulée. Parallèlement, je cherchais à écrire des textes pour mon nouvel album, car j’avais pas mal de musiques en attente et un jour, cela s’est imposé comme une évidence puisque certains textes s’adaptaient parfaitement à mes musiques. J’ai envoyé quelques démos à sa veuve qui les a aimé et m’a donné son feu vert. Ensuite, le gros du travail a commencé puisqu’il fallait trouver le moyen de mettre en valeur ces textes incroyables, les seconder en quelque sorte, sans pour autant perdre sa personnalité. La question des arrangements s’est posée également, notamment celle de l’utilisation de l’électro dont je pourrai reparler plus tard si ça vous intéresse. Le nerf de la guerre de tout ça était vraiment de trouver un style qui puisse rendre compte de ‘l’anti-poésie’ de Muray (j’utilise ce terme à défaut d’en trouver un meilleur).
Cela m’a intrigué et je me suis tout de suite procuré « Minimum Respect ». Cela a été un vrai coup de foudre et j’ai lu tout le reste dans la foulée. Parallèlement, je cherchais à écrire des textes pour mon nouvel album, car j’avais pas mal de musiques en attente et un jour, cela s’est imposé comme une évidence puisque certains textes s’adaptaient parfaitement à mes musiques. J’ai envoyé quelques démos à sa veuve qui les a aimé et m’a donné son feu vert. Ensuite, le gros du travail a commencé puisqu’il fallait trouver le moyen de mettre en valeur ces textes incroyables, les seconder en quelque sorte, sans pour autant perdre sa personnalité. La question des arrangements s’est posée également, notamment celle de l’utilisation de l’électro dont je pourrai reparler plus tard si ça vous intéresse. Le nerf de la guerre de tout ça était vraiment de trouver un style qui puisse rendre compte de ‘l’anti-poésie’ de Muray (j’utilise ce terme à défaut d’en trouver un meilleur).
Et donc, non, je ne savais pas du tout que Murat s’intéressait à Muray et c’est aussi bien. Je me souviens quand même m’être dit qu’il pourrait très bien le mettre en musique également. Après tout Murat Muray, ils n’ont qu’une seule lettre de différence.
- Dans une Inter-ViOUS ET MURAT-, et devant votre projet, je me dois d’aborder le travail de Murat avec ses mises en musique de Deshoulières, Béranger ou Baudelaire (que Muray admirait beaucoup). Est-ce que ce travail vous a influencé d’une manière ou d’une autre?
Bertrand LOUIS: Oui, nous sommes là aussi pour parler de Murat, alors parlons-en. Je me souviens avoir beaucoup écouté Madame Deshoulières à sa sortie et j’en garde un très bon souvenir, le souvenir de cette liberté que l’on peut prendre par rapport au format chanson pour épouser un poème et aussi, de ces correspondances qu’il y a entre ces deux modes d’expression que sont la poésie et la chanson.
Pour le disque sur Baudelaire (qui est chanté sur des mélodies inédites de Léo Ferré), je me souviens m’être senti plus proche de l’idée que je me fais de ce poète, comparé aux interprétations de Ferré que je trouve un peu trop « lyriques ». Muray admirait beaucoup Baudelaire évidemment (qui ne l’admire pas ?), il en surtout parlé dans son livre « Le XIXe siècle à travers les âges », faisant de lui le premier homme à s’être opposé aux « valeurs » modernes, si je me souviens bien. Et puisque nous parlons de cela, j’avoue que j’ai le secret désir de mettre moi aussi Baudelaire en musique un jour si j’en ai la force, d’arriver à exprimer ce que je vois en lui, la concision, le diamant et le terrible.
- Ah, tiens donc ! Plus largement concernant Murat, quelle est votre « histoire » avec lui ?
Bertrand LOUIS: Parler de mon « histoire » avec Murat, c’est un peu (déjà) replonger dans mes souvenirs.
Je me rappelle avoir entendu parler de lui pas mal de fois sans trop y prêter attention (mais il faut dire que je n’étais pas encore dans le milieu de la chanson) et puis un jour j’ai entendu Polly Jean à la radio et j’ai tout de suite acheté Mustango, cela a été un vrai coup de foudre et ce disque est resté un disque de chevet pendant un moment.
Il y a eu ensuite Madame Deshoulières dont on a parlé juste avant. J’ai aussi pas mal écouté A Bird on a Poire (le titre est marrant) où il y a un côté plus léger et plus ludique. J’ai la mauvaise habitude d’être assez passionné et j’ai le sentiment d’avoir tout brûlé en écoutant trop souvent ces trois disques, donc j’avoue que peu à peu, j’ai pris un peu mes distances même si je me tiens au courant de tout ce qu’il fait (Cette interview est d’ailleurs pour moi l’occasion de me replonger dans son univers).
Murat est aussi rentré dans une frénésie créatrice (que je comprends très bien) mais qui est difficile à suivre, cela serait presque un travail à plein temps !
Parler d’influence est délicat puisqu’on ne sait jamais vraiment comment cela se passe et d’où ça vient, mais il y a chez lui une grande exigence au niveau des textes, un style musical plutôt emprunté aux anglo-saxons qu’à notre bonne vieille chanson française, une élégance, un côté ours teigneux…etc…Tout cela me parle vraiment et je m’en sens très proche. Après je suis quelqu’un de beaucoup plus urbain, un Murat des villes si vous voulez. Sa place dans la chanson est en tout cas très enviable puisqu’il a un large public tout en étant en marge et sans concessions, je pense que c’est la chose la plus difficile à atteindre pour un artiste.
- Vous n’êtes pas le premier à exprimer une difficulté pour le suivre dans son rythme… Alors, questions rituelles de l’INTER-ViOUS ET MURAT-, je ne vais pas vous poser la question de l’album préféré…Vous êtes Mustanguiste de toute évidence ! Mais à moi qui suis Lilithiste, il vous faudra nous expliquer : pas accroché plus que cela par Lilith ?
Bertrand LOUIS: Et il faudrait penser aussi aux Lemoudjiketsafemmistes ou aux Birdonapoiristes ? Je viens de réécouter Lilith et non, je préfère vraiment Mustango, je préfère le son de Mustango pour tenter d’expliquer. Le tour de force qu’il a fait de mélanger Marc Ribot, le groupe Calexico et d’autres pour finalement faire du Murat est admirable.
10 chansons que l'on devrait tous connaitre par coeur par Bertrand Louis (Baptiste Vignol, éd. carpentier)
©surjeanlouismurat.com
- Sinon, pouvez-vous nous donner vos 3 chansons préférées de Murat ? Et pourquoi ?
Bertrand LOUIS: Question complexe car Murat est comme une coulée de lave et qu’il est difficile de choisir là-dedans. Alors je dirais Polly Jean évidemment (parce que c’est la première qui m’a touché et aussi peut-être que le tempo est plus rapide que la plupart de ses autres titres). Ensuite…ah c’est dur…allez allons-y pour L’au-delà parce que c’est un tube, enfin un tube, c’est un peu comme un jet de lave, et pour finir……………..euh……..un peu évident aussi mais je dirais Au mont Sans-Souci parce que je suis Mustanguiste et parce que c’est la plus simple et la plus belle. Et je dis ça très vite car dans 10 minutes j’aurai changé d’avis.
- L’avez-vous vu en concert ? Gardez-vous en mémoire un concert particulier ? Un souvenir, une anecdote ?
Bertrand LOUIS: Je ne l’ai vu qu’une seule fois en concert au Café de la Danse à Paris je ne me souviens plus de la date mais cela devait être il y a au moins 5 ans, voire 10. Je me souviens avoir adoré cette attitude du mec qui chante ses chansons et n’a pas besoin d’en faire des tonnes à côté. C’était une époque où il y avait pleins de connards autour de moi qui pensaient que si j’étais plus sympa sur scène ou que si je me faisais « coacher », cela marcherait mieux pour moi ; son état d’esprit m’avait rassuré.
- Est-ce que dans votre œuvre, vous avez une chanson qui vous fait penser à Murat, ou dont Jean-Louis Murat aurait participé à l’inspiration ?
Bertrand LOUIS: Il y a une chanson dans mon deuxième album qui s’appelle Disparaître et qui parle de la dépression ou du suicide selon comment on le sent. Le « champ lexical » comme on dit est plus axé sur la nature, la neige, l’avalanche…et aussi dans mon troisième une autre qui s’appelle Au bord de l’eau sur un poème de Sully-Prud’homme. Dès que je parle de nature j’ai l’impression d’être dans ses terres.
- Ah, oui, c’est une évidence pour Disparaître… aussi d’un point de vue musical, jusqu’au vent sur le final… Quant à Sully-Prud’homme, cela nous permet de faire la transition sur le thème de la poésie… Sully Prud’homme que Murat n’aurait pas choisi de mettre en musique : à propos de Manset : « Tu crois avoir rendez-vous avec Henri DE MONFREID et c’est ANTOINE qui t’accueille, tu t’attends à Rimbaud, et c’est Sully Prud’homme »… (J'en profite pour ajouter que Manset a souvent cité Muray...)
Et justement, ce qui m’a un peu étonné, c’est le romantisme de certains textes (L’Existence de Dieu), assez loin de ce qu’on peut imaginer a priori du polémiste Muray… Que pouvez-vous nous dire de ces textes (dont Muray a souhaité faire précéder la lecture d’un très dense avant-propos dans le recueil « Minimum Respect »)? Il semble qu’il veuille s’attacher au réel, et il pourfend ainsi « l’ivresse divine, l’incendie des cœurs, et autres âneries », ce qui le met très en opposition avec la plume de Murat me semble-t-il. Murat s’attache à défendre la langue mais s’appuie sur les symboles et les images que Muray semble refuser (Ce dernier cite même - p.2 de l'avant-propos - l’image du « Pont Mirabeau » que Murat utilise dans un nouveau titre paru dans la réédition de Toboggan*).
Bertrand LOUIS: C’est bien on rentre dans le vif du sujet. Juste un détail « Disparaître » est inspiré d’un prélude de Debussy musicalement. Sinon moi non plus je ne suis pas très friand de Sully Prud’homme globalement mais ce texte-là sur l’immobilité de l’amour m’avait touché il y a très longtemps et d’ailleurs « Mais n’apportant de passion profonde/ Qu’à s’adorer/ Sans nul souci des querelles du monde/ Les ignorer » cela pourrait être du Murat.
Pour ce qui est de L’existence de Dieu, c’est clair qu’il y a une très grande ambiguïté avec la préface de Minimum Respect mais je ne pense pas qu’on puisse parler de « romantisme ». D’ailleurs il y a plein d’ambiguïtés chez Muray, cela me rappelle l’article que Baudelaire voulait rajouter aux Droits de l’Homme « le droit de se contredire ». Poétiquement si l’on peut dire, Muray se rapprocherait plus de Rabelais, chez qui il y a aussi de grands moments « mystiques ». Enfin tous ces termes ne sont pas évidents à employer car ils collent tout de suite une étiquette. Il est clair que dans cette fameuse préface que j’invite tout le monde à lire, il met à mal la poésie des poètes « La poésie, enfin, m’a toujours semblé proche des promesses électorales, cette autre rhétorique aux alouettes ; sauf qu’elle n’est jamais exposée à la résistance ou à la sanction du réel, ce qui lui permet de demeurer éternellement une forme de démagogie parmi d’autres.» et en cela il s’oppose à Murat, mais aussi à pas mal de monde. Mais cette préface est aussi une manière de déblayer le terrain, tel un bulldozer, pour se faire de la place. « Mais cette éternité elle-même finit avec mon commencement. » conclut-il. C’est énorme de prétention!
Quant à moi, qui suis plein de respect pour Murat et Bashung, et qui ai l’impression d’en être à mes balbutiements si je me compare à eux, je commence aussi à être fatigué - surtout par tous ces suiveurs et suiveuses qui pensent représenter leur héritage - de cette poésie qui suggère plutôt qu’elle ne dit. Quand j’ai lu ces alexandrins « Le moral des ménages qui a encore baissé » ou encore par exemple « J’aime bien les routiers quand ils bloquent les routes / Et font de ce pays une longue déroute » dans Minimum Respect, j’ai tout de suite adhéré.
- Oui, c’est vrai qu’on ne peut pas mieux rêver comme entame pour un album : c’est les premiers vers de la première chanson…
Muray indique donc qu’il veut rester dans le réel, parle de prose, mais tout en souhaitant rester dans les contraintes de la rime, et pour le coup, il y va à fond… presque dans l’assonance, et on est presque dans le rap ? (Titre 3) impression renforcée par les orchestrations peut-être ?
Bertrand LOUIS: C’est là toute l’originalité de ces textes, dans le sens où ils décrivent le monde moderne mais sous une forme rimée et rythmée. Certains peuvent effectivement se rapprocher du rap (en mieux écrit quand même) et même si j’ai au maximum essayé de chanter sur cet album pour rendre au mieux la musicalité des textes, il y a quelques moments déclamés entre rap et slam, comme Lâche-moi tout dont vous me parlez et aussi le dernier titre La comédie humaine. Mais l’un des intérêts (l’un des « pourquoi ») de la chanson aujourd’hui ne serait-il pas de créer des liens entre le rap (ou ses dérivés) qui s’accapare le réel, le parler vrai en quelque sorte d’une manière pas toujours très heureuse et la chanson « cultivée » qui devient de plus en plus évanescente ?
- Oui, mais comme sur le thème très présent de l’amour, c’est également ce qui pourra surprendre l’auditeur porteur d’a priori sur Muray… Mais qui ne surprendra pas ceux qui vous connaissent. C’est aussi la poursuite de votre propre travail, j’ai pensé à Slogan par exemple… une forme de détournement pour avoir un discours... on pourrait dire « révolutionnaire » (il était marxiste au départ, je crois) ?
Bertrand LOUIS: Philippe Muray était quelqu’un d’extrêmement vivant d’après ce que j’en sais, ce qui inclut évidemment l’amour, le sexe et aussi la déconnade si je peux m’exprimer ainsi.
Quand j’ai commencé à le lire, c’est surtout cela qui m’a marqué en premier, cette grande santé mentale (qui peut rappeler celle de Nietzsche parfois). « Minimum Respect » est une mine d’or dans laquelle j’ai creusé pour en extraire certains thèmes et il est évident que j’en propose ma propre lecture, c’est-à-dire une alternance entre la détestation et l’amour. Je trouve même qu’il y a une certaine bienveillance dans le dernier titre « La comédie humaine » et je ne sais pas si c’est moi qui l’interprète de cette manière ou si elle était déjà présente. Il est évident aussi que cet album s’inscrit dans la continuité de mon travail, ce n’est pas pour rien que j’ai choisi Muray. Un esprit critique, une forme de détournement mais dans un sens créatif, pas forcément « révolutionnaire », terme à prendre avec des pincettes. D’ailleurs la révolution est le mouvement d’un astre autour d’un autre. Et je ne pense pas que Muray était révolutionnaire puisqu’il ne propose rien pour remplacer. Sinon oui effectivement il me semble qu’il était un peu à l’extrême gauche au départ je ne sais pas très bien je ne voudrais pas raconter de bêtises. Ce qui est sûr, c’est que la démarche de Muray est plus axée sur l’étude des mœurs et de leurs changements (il était très admirateur de Balzac), plutôt que sur la politique proprement dite.
Quand j’ai commencé à le lire, c’est surtout cela qui m’a marqué en premier, cette grande santé mentale (qui peut rappeler celle de Nietzsche parfois). « Minimum Respect » est une mine d’or dans laquelle j’ai creusé pour en extraire certains thèmes et il est évident que j’en propose ma propre lecture, c’est-à-dire une alternance entre la détestation et l’amour. Je trouve même qu’il y a une certaine bienveillance dans le dernier titre « La comédie humaine » et je ne sais pas si c’est moi qui l’interprète de cette manière ou si elle était déjà présente. Il est évident aussi que cet album s’inscrit dans la continuité de mon travail, ce n’est pas pour rien que j’ai choisi Muray. Un esprit critique, une forme de détournement mais dans un sens créatif, pas forcément « révolutionnaire », terme à prendre avec des pincettes. D’ailleurs la révolution est le mouvement d’un astre autour d’un autre. Et je ne pense pas que Muray était révolutionnaire puisqu’il ne propose rien pour remplacer. Sinon oui effectivement il me semble qu’il était un peu à l’extrême gauche au départ je ne sais pas très bien je ne voudrais pas raconter de bêtises. Ce qui est sûr, c’est que la démarche de Muray est plus axée sur l’étude des mœurs et de leurs changements (il était très admirateur de Balzac), plutôt que sur la politique proprement dite.
- Passé les surprises éventuelles, on a quand même les thèmes que l’on attend chez Muray comme le refus de l’hygiénisme (Murat a eu parfois ce discours) comme dans "lâche-moi tout" (vidéo ci-dessous), et la critique de la modernité… Dans une auto-interview parue sur votre site, vous choisissez un peu la provoc sur une question concernant le caractère « réac » de Muray. Pouvez-vous détailler un peu plus ? (je précise que j’ai dû qualifier Murat plusieurs fois de ce terme dans ce blog).
Bertrand LOUIS: Oui c’est un peu provoc parce que ces termes réac, bien-pensant, bobo…sont utilisés à tout bout de champ et qu’ils veulent dire tout et n’importe quoi.
Aujourd’hui, l’on voudrait nous faire croire qu’il y aurait les gentils progressistes et leurs lendemains qui chantent d’un côté, et les méchants réacs ringards FN de l’autre. Bon cela j’ai l’impression que tout le monde le sait, mais le pire, c’est que les gens qui veulent réfléchir là-dessus, ou tout simplement mener leur existence librement sans rentrer dans ces deux clichés sont d’emblée catalogués comme des réacs. Il y a eu, et il y a en France de vrais mouvements de droite réactionnaire qui sont effectivement dangereux, mais être à l’affût du moindre dérapage pour traiter quelqu’un de réac, de facho, d’homophobe ou de je-ne-sais-quoi, c’est très dangereux également. Ça banalise et c’est un peu comme l’histoire de ce petit garçon qui criait « Au loup ! » alors qu’il n’y en avait pas, le jour où le loup a été vraiment là, plus personne ne l’a cru. « Dans ce monde moderne/ Je ne suis pas chez moi….Moi le fumier du monde/ Où tu veux te planter » (encore Mustango désolé). C’est clair qu’avec des phrases comme ça on peut vite se faire épingler (je plaisante évidemment). Pourtant il y a aussi la chanson « Les gonzesses et les pédés » sur cet album qui pourrait être un hymne moderne, mais qui n’a pas empêché Murat de se faire épingler sur le mur des homophobes d’Act Up. Pauvre de nous !
Aujourd’hui, l’on voudrait nous faire croire qu’il y aurait les gentils progressistes et leurs lendemains qui chantent d’un côté, et les méchants réacs ringards FN de l’autre. Bon cela j’ai l’impression que tout le monde le sait, mais le pire, c’est que les gens qui veulent réfléchir là-dessus, ou tout simplement mener leur existence librement sans rentrer dans ces deux clichés sont d’emblée catalogués comme des réacs. Il y a eu, et il y a en France de vrais mouvements de droite réactionnaire qui sont effectivement dangereux, mais être à l’affût du moindre dérapage pour traiter quelqu’un de réac, de facho, d’homophobe ou de je-ne-sais-quoi, c’est très dangereux également. Ça banalise et c’est un peu comme l’histoire de ce petit garçon qui criait « Au loup ! » alors qu’il n’y en avait pas, le jour où le loup a été vraiment là, plus personne ne l’a cru. « Dans ce monde moderne/ Je ne suis pas chez moi….Moi le fumier du monde/ Où tu veux te planter » (encore Mustango désolé). C’est clair qu’avec des phrases comme ça on peut vite se faire épingler (je plaisante évidemment). Pourtant il y a aussi la chanson « Les gonzesses et les pédés » sur cet album qui pourrait être un hymne moderne, mais qui n’a pas empêché Murat de se faire épingler sur le mur des homophobes d’Act Up. Pauvre de nous !
Finalement puisque nous parlons beaucoup des différences et des ressemblances entre Murat et Muray, on pourrait dire que Murat a plus de points communs avec Muray dans ce qu’il dit en interview que dans ses chansons.
- … dans ses chansons aussi… puisque « vendre les près », le Cours ordinaire des choses, « terre de France » ont été l’objet de lecture orientée… dans une récupération dont Murat est victime depuis deux ans (notamment par rapport à une interview du Point). Pour vous, est-ce qu’on peut parler d’une récupération fallacieuse de Muray par disons « l’extrême-droite » ou par une mouvance rouge-brune ? Et si oui, est-ce qu'il y a à vos yeux des frontières nettes qui le séparent de cette mouvance et, si oui, à quels niveaux se situent-elles ? Au niveau politique ? économique ? moral ? esthétique?
Bertrand LOUIS: Il va falloir que j’écoute ou que je réécoute ces chansons-là alors. Je viens de lire l’interview de Murat dont vous parlez et je la trouve vraiment juste, dure mais juste. Alors parlons de récupération, sujet délicat s’il en est. Déjà, je ne vois pas trop ce qu’il y a de récupérable dans l’interview de Murat, il tape sur la bonne conscience de gauche des chanteurs, d’accord, il dit qu’il aime Bloy et Bernanos, d’accord. Mais taper sur la gauche ne veut pas dire qu’on est de droite ou d’extrême droite. Personnellement j’utilise un joker pour régler ce problème qui s’appelle Pierre Desproges : « à part la droite, il n’y a rien que je méprise autant que la gauche ! » Muray a lui aussi tapé sur la gauche et il est normal qu’il soit récupéré par la droite, surtout en ce moment. Mais bon je ne sais pas trop quoi dire sur ces histoires de récupération à part que ça me débecte. Je revendique la liberté de lire Léon Bloy, Philippe Muray et d’autres parce que leurs qualités littéraires sont énormes, un point c’est tout ! Vous allez voir qu’un jour, aimer la littérature française, écrire (bien) en français, cela va être considéré comme réactionnaire, si ce n’est déjà le cas. En tout cas ce qui sépare Muray de certains de ses récupérateurs, c’est que lui est dans le littéraire, je ne suis pas persuadé que les dirigeants ou les militants de ces partis extrêmes seraient capable d’en lire deux lignes et de les comprendre.
Photo: Blondie Photographe
- Pour en finir sur ce chapitre, je voulais vous interroger sur un paradoxe que Murat peut incarner, mais auquel vous êtes confronté également : s’il y a d’un côté quelques tentatives de récupération, on a de l’autre côté un soutien assez constant d’une certaine gauche culturelle bien-pensante, sur laquelle Murat a tapé, et que Muray exècre, et qui pourrait paraitre tout aussi étonnant Je pense bien-sûr à Libé, aux Inrocks, Télérama, et Inter et leur public… Vous-même, vous avez été invité sur Inter… Est-ce que cela vous inspire quelques réflexions ? Et comment ces médias accueillent votre album (si vous le savez) ?
- Pour en finir sur ce chapitre, je voulais vous interroger sur un paradoxe que Murat peut incarner, mais auquel vous êtes confronté également : s’il y a d’un côté quelques tentatives de récupération, on a de l’autre côté un soutien assez constant d’une certaine gauche culturelle bien-pensante, sur laquelle Murat a tapé, et que Muray exècre, et qui pourrait paraitre tout aussi étonnant Je pense bien-sûr à Libé, aux Inrocks, Télérama, et Inter et leur public… Vous-même, vous avez été invité sur Inter… Est-ce que cela vous inspire quelques réflexions ? Et comment ces médias accueillent votre album (si vous le savez) ?
Bertrand LOUIS: Oui c’est effectivement un paradoxe car cet héritage de la culture française est évidemment très présent chez Murat, chez Muray et chez beaucoup d’autres mais qu’il n’est pas très bien vu de le revendiquer aujourd’hui. Je pense vraiment qu’un artiste n’a pas à se préoccuper de ces choses-là. Arriver à chanter Philippe Muray sur Inter relève de l’exploit et j’en suis très fier. Il est un peu tôt pour moi de parler de l’accueil de mon album, je crois savoir que les médias dont vous parlez n’y sont pas insensibles, mais s’ils vont s’engager, je ne le sais pas encore. Peut-être que Muray pose problème, mais je m’en fiche car, je le répète, la qualité littéraire est énorme.
- Je viens de prendre connaissance de la dernière polémique (la polémique du jour) à propos de l’appel des 343 salauds, lancés par CAUSEUR (qui publie du Muray). Bruno Roger-Petit cite Muray dans un article à propos de cet appel.
(Le lien que donne B. Roger-Petit vers une interview de Muray permettra de comprendre d’où proviennent quelques propos de Murat)
Une réaction particulière à cette actualité ?
Bertrand LOUIS: Encore une fois on veut nous faire croire qu’il y a les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Personnellement j’aime beaucoup les prostitués, je pense qu’elles sont les gardiennes du Temple de l’Amour. Nous vivons dans un monde absurde et schizophrène, d’un côté tout est fait pour provoquer le désir du Mâle et de l’autre tout est fait pour le châtier. Mais concrètement, dans la « réalité » encore une fois, comment cela va-t-il se passer ? Ils vont laisser les filles exploitées tapiner et d’un autre côté guetter les clients pour les verbaliser. Vont-ils le faire avant ou après ? Ou pendant tant qu’ils y sont ? Bref, c’est ridicule et cela va donner des situations très cocasses ! Finalement, leurs lois sont tellement débiles que j’ai bien envie d’être le 344ème salaud. Et puis tenez, puisque c’est malheureusement aussi d’actualité, « Let’s take a walk on the wild side ».
- Alors, pour en revenir à l’album et à la musique, Muray a lui-même chanté certains des titres que vous chantez. Est-ce que vous vous êtes servi de cette première mise en musique ou avez cherché justement à partir de zéro ?
Bertrand LOUIS: Muray a fait un disque de son vivant mais il avait lu les textes d’abord et ensuite, des musiciens ont fait la musique. J’ai essayé dans ma version, comme je l’ai dit plus haut de « chanter » les textes et cela impliquait de repartir de zéro. Qu’il l’ait fait lui-même m’a tout de même conforté dans ma démarche en me disant qu’il n’allait pas se retourner dans sa tombe.
- Vous avez évoqué dans votre première réponse la question des arrangements, en parlant d’électro. Ce n’est absolument pas une image que je garde de cet album… peut-être du fait de l’utilisation du piano que j’ai vraiment apprécié. Parlez-nous de ces arrangements ?
Bertrand LOUIS: Effectivement c’est l’utilisation du piano qui était primordiale pour moi puisque c’est mon instrument de départ, que j’en joue depuis mon plus jeune âge et que je l’avais un peu délaissé pour le moment. Dans ce disque particulièrement, il représente pour moi le classicisme qu’il y a chez Muray. Le côté rock basse batterie guitares met en valeur l’énergie, la « santé mentale » des textes et enfin « l’électro » et les synthés, même si ça ne date pas d’hier, mettent l’accent sur le moderne mais aussi sur l’ironie. En même temps, toutes ces considérations n’appartiennent qu’à moi et chacun peut le ressentir à sa façon.
Photo: Blondie Photographe
- Si votre voix et votre interprétation collent parfaitement à Muray, j’ai un coup de cœur terrible pour la voix qui arrive dans deux chansons… celle de Lisa Portelli*. Quelle est l’histoire de cette collaboration ?
*la rencontre Lisa/Jean-Louis chez D. Varrod ici, où elle dit ceci :"j'aime ne pas me
sentir en sécurité avec les gens avec lesquels je travaille".
Bertrand LOUIS: Oui moi aussi je l’aime bien c’est pour ça que je l’ai choisie… Mais c’est vrai que sa voix est d’autant plus mise en valeur que le reste est vraiment très masculin.
- Vous chantez donc avec Lisa une chanson autour du 11/09... Un thème qui a inspiré de nombreux auteurs compositeurs, aux Etats-Unis, comme en France, dont Murat… Est-ce que vous y pensiez en la réalisant ? Pouvez-vous nous parler plus en détail de cette chanson ?
Bertrand LOUIS: Le 11 septembre 2001, c’était franchement difficile de passer à côté. Je me souviens m’être demandé qui allait faire une chanson dessus en premier. J’aime bien celle de Katerine. La musique m’est venue assez naturellement quand j’ai lu le texte, l’idée du duo également. Lisa et moi étions d’accord pour dire que sa voix est un peu jeune pour chanter cette histoire de vieux couple. Mais j’aime bien dans les duos, que cela ne soit pas trop cinématographique, sa voix est un comme prolongement féminin de la mienne.
- Vous chantez bientôt à PARIS, est-ce que vous avez un tourneur pour d’autres dates en France ?
Bertrand LOUIS: Oui, je monte un spectacle piano voix et avec un guitariste électrique, Jérôme Castel. Le but étant de proposer une version plus intime du disque tout en gardant un esprit rock, afin de rendre au mieux la puissance des textes de Muray. Je me suis un peu inspiré de l’album Songs For Drella de Lou Reed et John Cale, album que je trouve admirable. Il y aura aussi sûrement quelques lectures qui vont s’insérer par la suite. J’aimerais « installer » ce spectacle musical dans un lieu parisien pendant longtemps et évidemment pouvoir « tourner » avec, cela démarre d’ailleurs plutôt bien, vu les trois premières dates que l’on vient de faire.
Un grand merci Bertrand Louis pour votre disponibilité et votre bienveillance!
Interview réalisée par mails du 6/10/2013 au 15/11/2013.
Cette inter-ViOUS ET MURAT- ne contenait toujours pas de questions sur la crise du marché du disque (ne mangez pas au mac-do, achetez un disque).
LE LIEN EN PLUS :
- Le site officiel:
http://www.amazon.fr/SANS-MOI-BERTRAND-LOUIS/dp/B00EVNRJKQ
http://www.virginmega.fr/musique/album/sans-moi-bertrand-louis-118942653,page1.htm
http://www.virginmega.fr/musique/album/sans-moi-bertrand-louis-118942653,page1.htm
- Concerts à l'espace Christian Dente, Paris:
les lundi 13 et mardi 14 janvier 2014
- Vidéos:
- Vidéos:
Les diverses ambiances du disque "sans moi" dans ces deux vidéos:
* Avertissement: Ecouter de la musique ne provoque pas de cancer.
- Et pour finir, une émission en écoute: LA BANDE PASSANTE sur RFI
http://www.rfi.fr/emission/20131104-2-bertrand-louis
et une interview par Baptiste ViGNOL:
et une interview par Baptiste ViGNOL:
http://delafenetredenhaut.blogspot.fr/2010/11/bertrand-louis.html
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RETROUVEZ LES PRECEDENTES Inter-ViOUS ET MURAT- :
http://www.surjeanlouismurat.com/categorie-11422242.html
Merci encore à Baptiste Vignol (inter-ViOUS n°2) qui m'a permis d'entrer en contact avec Bertrand Louis.
Ecoutez "l'armure" d'Erik Arnaud.
Avec également (ceux que je n'ai pas cité en introduction) : le journaliste Olivier NUC, Armelle PIOLINE d'HOLDEN, Eric Quenard (homme politique), Les groupes Le Voyage de NOZ , Karl-Alex Steffen, Porco-Rosso