inter-vious et murat

Publié le 22 Avril 2015

(collection personnelle de P. BARBOT)

(collection personnelle de P. BARBOT)

            J'ai été lecteur de TELERAMA dans le berceau familial durant pas loin de 30 ans (à croire que c'est par fidélité au rendez-vous du mercredi que j'avais opté un temps pour une carrière de Tanguy). A réception, j'allais directement jeter un oeil sur la chronique oscillante d'Alain Remond (plus facile à trouver, et qui permettait de faire un point sur le dernier Apostrophe et l'interview d'Irène Frain ou de Claude Hagège...). Je dois même avoir encore quelque part une collection en feuilles arrachées de ces "MON OEIL"...

           Et, 2e acte, je filais sur les chroniques de disques signées: Anne-Marie Paquotte et Philippe Barbot... Ça fait moins classe que NME, et même Rock and Folk comme panthéon? Le livre "BACKSTAGE"  sorti il y a quelques semaines revenant sur les plus belles rencontres de la carrière de Philippe montre en tout cas qu'il a rencontré les plus grands, et souvent avec des résultats passionnants. Et c'est aussi un artiste qualifié d'"audacieux" par Bertrand Louis (avec lequel il vient de travailleur son 2e album). 

        Jean-Louis Murat figurant au sommaire du livre "Backstage" (édition Philippe Rey),  j'ai  saisi cette actualité pour lui proposer une interview... avec l'idée de revenir avec lui sur les grands épisodes de ce feuilleton vieux de 30 ans: "Murarama et Barbortgeaud" (série presque aussi palpitante que "les feux de l'amour", presque aussi rebondissante que "amour, gloire et beauté, et spirituelle qu'"amuracalement vôtre"... enfin, si on est passionné). On verra que Philippe Barbot est bel et bien à positionner au côté des Bayon, des Olivier Nuc, Jean Théfaine, comme les grands Saint-Simon du règne médiatique de Murat 1er... ce qui n'exclue pas une certaine distance.      PS: Quand ça fera la queue pour répondre à mes questions, promis: je ferai moins dans le dythérambique)

 

- Dans l'article suivant (à lire ici), retrouvez la plupart des articles signés Philippe Barbot (interviews, chroniques...), ceux évoqués ci-dessous et les autres chroniques d'albums notamment.

 

Bonjour Philippe, 

- Vous étiez depuis 2 ans à Télérama quand Anne-Marie Paquotte signait une des rares chroniques de PASSIONS PRIVEES... Est-ce à ce moment-là que vous découvrez Jean-Louis Murat?

Ph. Barbot: Non, je crois ne l'avoir découvert qu'à la sortie de "Cheyenne Autumn". Mais Anne-Marie, outre une belle personne, a toujours été une dénicheuse de talents, une amoureuse passionnée de la chanson, souvent en avance sur tous les médias.

- D'ailleurs, vous étiez selon Wikipédia chef du service musique, aviez-vous des discussions pour savoir quelles disques devaient être chroniqués (à l'époque, cela devait déjà être limité à 2/3 par semaines).

Ph. Barbot: Je n'ai été petit chef-chef que bien plus tard. A l'époque, j'étais simplement détenteur de la rubrique rock (qui s'appelait "Pop" au début...). Chaque chroniqueur a toujours été libre de choisir ses coups de coeur... ou ses coups de gueule. Je suis sûr qu'il en est encore de même aujourd'hui.

- Cette chronique d'Anne-Marie de Passions Privées, Jean-Louis en a beaucoup parlé, et à sa mort, à 54 ans, il a diffusé un inédit "Mille-morts"... Est-ce qu'ils avaient une relation particulière?

Ph. Barbot: Particulière, je ne sais pas, sinon que l'une admirait l'autre et que l'autre avait une tendresse spéciale pour elle : c'est la première journaliste, à ma connaissance, à avoir chroniqué son album. Il l'a dit à plusieurs reprises (notamment à sa mort), et a toujours gardé pour elle une grande affection. Il m'a même proposé que nous nous rendions un jour tous les deux sur sa tombe. Peut-être cela se fera t-il...

A.M. Paquotte

 

 

- Elle chronique les disques de Murat jusqu'au Moujik, mais vous signez ensemble un entretien le 9/10/91 (l'introduction est je pense de vous). Etait-ce votre première rencontre? Des souvenirs en particulier?

Ph. Barbot: Je ne me souviens pas de ce papier de 91... Ma première vraie interview de Jean-Louis dans Télérama date de 1996 (l'album Dolorès, un de mes préférés). C'était la première fois que j'allais chez lui en Auvergne. Je me souviens qu'il m'a accueilli (je venais de faire plusieurs heures de voiture) en me proposant de m'offrir à boire... de l'eau. Mais quand je suis reparti, après moult autres libations, il a bourré mon coffre de confitures maison. Je me souviens aussi de sa théorie sur la façon d'attraper les mouches. Et d'une fan qui habitait non loin de chez lui et le harcelait.

 

Inter-ViOUS ET MURAT- n°18   : Philippe BARBOT

- Cette histoire de fan n’est pas dans l’article, ni fait mention de votre corruption en pots de confiture… Je retiens de cette interview de 96 ces propos sur le rap «Je suis passionné par les recherches de certains producteurs de rap, comme Dr Dre…. il y a des artistes qui sont l’équivalent des grands solistes de jazz ». La reprise d’I AM est semble-t-il le seul témoignage de cet intérêt pour le rap… A l’époque, vous chroniquiez NTM et étiez fan hardcore de PRINCE… Est-ce que ce style vous a intéressé ou vous intéresse encore ?

 

Ph. Barbot: J'ai aimé les débuts du rap. Je me souviens d'un séjour à New York, en 1980 au cours duquel j'ai vu et entendu pour la première fois des gamins rapper dans la rue. Ca m'avait scotché. Ensuite, il y a eu le tube de Sugarhill Gang, dont j'ai acheté le maxi 45 tours. Chez nous, Solaar et IAM m'ont intéressé, autant d'un point de vue littéraire que musical. Je me suis même offert l'un des premiers samplers (de marque Akai) histoire de m'initier au truc. Aujourd'hui, le style, surtout français, me lasse. Question d'âge sans doute…


- J'essaye de parler de Manset à chaque interview... et là, pas besoin de chercher un prétexte: dans cette interview de 91, vous lui parlez de Manset,et vous faites souvent le lien avec lui dans vos chroniques (dans l'introduction de 91, vous parlez de Manset New wave), Murat vous répond en le taclant sévèrement mais dit aussi qu'il l'aime beaucoup. Qu'est-ce qui les rapproche et les différencie ?

 

Ph. Barbot: Vous devez savoir qu'à l'origine Jean-Louis désirait collaborer avec Manset sur la réalisation de son premier album. Les deux hommes se sont rencontrés quelques heures en studio et ça n'a pas collé. Ce qui les rapproche, c'est évidemment une certaine forme de misanthropie sociale, de réserve protectrice, cette impression d'être une sorte de samouraï solitaire face à la vulgarité et la bêtise ambiantes. Ainsi qu'un goût pour la langue française implacablement chantournée. On pourrait gloser des heures sur leurs points communs... ainsi que sur leurs différences. Rien que musicalement, Manset adorait Bob Seger et l'Electric Light Orchestra (!), alors que Jean-Louis, c'est plutôt Leonard Cohen et Neil Young...

 

- Murat ne déteste pas non plus certains « gros groupes qui tâchent » (Family, Eagles, ZZ Top…).

Ph. Barbot: Pour moi, aucun rapport entre Family (avec cet extraordinaire chanteur qu'était Roger Chapman) et Eagles, de la variét' typiquement yankee. Quant à ZZ Top, c'est avant tout du blues rock velu et rigolo…

 

- Par « groupes qui tâchent », je voulais dire « groupes qu’on dénigre » un peu...

Pour le rapprochement, Murat dans l’article de 96 dit « on me compare souvent à Gérard Manset, sans doute à cause de mon côté ermite et de mes longues envolées, mes délires un peu lyriques ». Vous lui en reparlez –vous n’avez pas peur !- aussi pour Rolling Stone en 2011 : Murat dit cette fois que Manset a libéré quelque chose, « une pulsion littéraire » (et il fait la même comparaison qu’en 1991 entre Manset et De Gaulle). Petit point de rapprochement qui me vient : leur refus de la fausse modestie (hum hum), même si Murat parle un petit peu moins à la 3e personne (quoique Bergheaud évoque souvent Murat). Murat semble beaucoup plus soumis au doute… [pas de commentaire de la part de Philippe Barbot... qui a signé 3 interviews de Manset dans les années 80]

Revenons-en au fil historique : Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle Murat passe ainsi de la chronique CHANSON à la chronique ROCK à partir de Lilith et que vous signez ensuite les chroniques de disques ?

 

Ph. Barbot: Aucune raison particulière sinon que j'ai du user de persuasion pour affirmer que Murat, c'était rock ! Façon de m'emparer du bonhomme...

- L'étape suivante est me semble-t-il la rencontre Wyatt/Murat en 1997 (qui fait la couv de Télérama)?
Vous avez choisi de l'évoquer dans votre livre "Backstage": Tous deux partagent le même goût de la simplicité dans facilité, de l'émotion sans emphase, de la mélancolie sans pathos". Murat a particulièrement bien préparé l'interview (on a vu récemment dans l'article signé Jean-Louis Bergheaud dans la revue CHANSONS) qu'il aurait fait un excellent journaliste musical). Depuis, Murat semble plus réticent à rencontrer ses idoles (Olivier Nuc a tenté d'organiser une rencontre avec Neil Young)*. Que pourriez-vous nous dire de plus sur cette rencontre ? (vous n'évoquez pas dans le livre que des années plus tard, Wyatt sera crédité dans votre premier disque). Que savez-vous de la relation que Murat et Wyatt ont maintenu?

*je pense à la rencontre possible de Tony Joe White quand il enregistrait le Cours Ordinaire des choses, à la session avec Crazy Horse ou sa déclaration sur Jimmy Page…

Ph. Barbot: Rien à dire de plus que ce qui est relaté dans le livre. Sinon que Jean-Louis était ravi de cette interview, un évènement unique je crois, et qu'il a sans doute gardé contact avec Robert. Grâce à cette rencontre, j'ai pu, en ce qui me concerne, réussir à obtenir sa participation sur mon album. Je le dois à Jean-Louis, finalement...

 

 

 

Inter-ViOUS ET MURAT- n°18   : Philippe BARBOT

- Cette année-là, le magazine fait éditer le cd « CARTIER-BRESSON » dont je suis un heureux gagnant à l’époque… (je ne sais pas si vous avez quelque chose à nous dire là-dessus).

Ph. Barbot: Pas grand-chose… Dans le même registre téléramesque, il me semble qu'il y a eu aussi une chanson inédite à propos d'un hors série Tour de France...

- Ah, ça ne me dit rien, et rien là-dessus dans les archives…

Ph. Barbot: Ok, c'est ma mémoire qui flanche, oubliez ça…

- Il y a eu un CD en 2004 « chansons à mi-voix », les chansons coup de cœurs des journalistes, où vous choisissez « Plus vu de femmes », « plus vu de femmes » qui s’il devait être publié en single, devrait flanquer une raclée dans les charts à tous les Kyo ou Calogero » disiez-vous dans la chronique du Parfum.

On en revient à 2003 pour Lilith où vous le rencontrez à nouveau (à l’auberge du Guery) … et il vous tient le fameux discours* sur les disques qui « puent la chaise » (Dominique A l’évoquait sur le plateau de Dordhain il y a 1 an ou 2). Murat en reparlait au moment de Tristan. Qu’en pensez-vous ?

* " L'homme écrit debout, comme d'autres jouent du piano, il a même une théorie là-dessus, à propos de cette créative station verticale : «Flaubert écrivait debout, paraît-il. Je me suis rendu compte que les chansons écrites dans la position assise passaient moins bien quand je les chantais debout sur scène. Il y a une façon de porter la voix qui est différente. Quand tu es debout, tu chantes beaucoup moins pour toi. Maintenant, quand j'écoute n'importe quel disque, je suis capable de reconnaître si la chanson a été écrite assis : ça pue la chaise... »"

 

Ph. Barbot: Ce me semble être typique de Jean-Louis, ce genre de déclaration : du pain bénit pour le journaliste. Je ne suis pas sûr que les Beatles se dandinaient en composant. En ce qui me concerne, j'écris, papiers ou chansons, assis. Peut-être que mes articles puent le fauteuil et mes chansons sentent le tabouret…

- Et nous voilà, en 2005, et ce dossier spécial « carte blanche » que vous lui consacrez, avec en couverture (C’est sa première et dernière), Murat posant en costume Galliano (JL nous a parlé de ce couturier qui a adopté l’Auvergne aussi en septembre dernier, je découvrais son intérêt pour la mode). On trouve notamment une autre rencontre : Murat/Angot, mais ceux-ci se connaissaient depuis 98 (en 2001, Murat lui chantait sur lit « aimer » sous la caméra de L.Masson). Est-ce que vous avez des souvenirs de cette carte blanche?

Ph. Barbot: Il avait accepté d'être photographié, et même de paraître en couverture du magazine, ce qui, à l'époque était compliqué car il refusait tout cliché qu'il ne fournissait pas lui-même (tiens, une autre ressemblance avec Manset), à condition d'être ainsi costumé. Je ne me souviens plus du prétexte de ce déguisement, peut-être une vague analogie avec le maréchal Murat dont il fait l'apologie dans l'un des articles. Pour cette carte blanche, je me suis rendu chez lui, puis nous avons été ensemble à Montpellier, assister à un spectacle chorégraphié de Christine Angot. Le lendemain j'ai fait l'interview croisée qui est parue dans le journal.

Inter-ViOUS ET MURAT- n°18   : Philippe BARBOT

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Vidéo de la séance photo et lecture d'un poème pachtoune: http://www.dailymotion.com/video/x2q0i7g_2005-telerama-jean-louis-murat-lit-de-la-poesie-pashtoune_music

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- J’ai relevé quelques propos dans ces pages de 2005… si cela vous inspire…

« Pour moi, vivre, c'est écrire. J'écris par volonté de rejeter le plus loin possible tout ce qui veut mourir en moi. Je hais les forces de mort partout en action.

Ma machine inconsciente crache des mots et n'a aucune limite, je suis capable de dire des trucs effroyables. La dimension morale de la langue m'échappe complètement. Je ne suis ni sévère, ni jaloux, ni amer, juste un autodidacte qui pense que les choses doivent être dites. J'ai toujours voulu être poète. La poésie, c'est typiquement incorrect. Baudelaire, Rabelais sont des auteurs incorrects. La poésie, c'est faire cracher toute sa beauté au Mal ».

Ph. Barbot: Je pense que ces propos (dont je partage absolument la première partie) expliquent clairement l'attitude de Jean-Louis face à certains médias et, en général, au "métier", son côté politiquement incorrect, "grande gueule qui ne respecte rien"…

 

- Et vous chroniquez encore Mockba (vous émettez un doute sur la pochette, que j’adore), le Parfum d’acacia… Et c’est votre départ de TELERAMA, puis c’est l’arrivée de Valérie Lehoux, parfois plus distante… et Murat rejoint la case « chansons »… alors qu’Hugo Cassavetti semble pourtant plus amateur (cf les émissions « les sonos tonnent » et "la dispute"). Un petit commentaire, notamment sur votre départ de Télérama ?

Ph. Barbot: J'ai quitté le journal en 2006, après plus de 24 années de bons et loyaux sévices, avec le sentiment d'avoir fait mon temps jusqu'à faire partie des meubles (ceux qu'on range parfois au grenier ou dans un placard), suite à un changement de direction avec lequel (le changement) je ne me sentais pas à l'aise. Anne-Marie était partie un an avant moi.

 

- En 2009, on vous retrouve en maitre de cérémonie d’un show case FNAC à côté de Murat… Murat vous assène :

« toi au moins tu t’es barré de tout ça, un jour tu as dit ras le bol de cette daube de Télérama, je me casse, tu as tout compris et tu as bien fait. Le niveau moyen des médias est tellement con que, soit je réponds rien, soit je joue la surconnerie, qu’est-ce que je pourrais leur raconter, y zen ont rien à foutre, ils s’en foutent. Une fois y en a un qui vient m’interviewer, il avait jamais écouté mes chansons, il connaissait rien de ce que je faisais… lamentable, tous pareils, alors je dis des conneries plus grosses qu’eux, par exemple un jour j’ai dit que les guignols étaient fascistes, hop le lendemain je retrouve ça en gros titres, ils sont tous aussi cons les médias, à part toi… ».

Avez-vous d’autres souvenirs de cette rencontre ?

 

Ph. Barbot: J'ai animé deux rencontres Fnac avec Jean-Louis, l'une pour "Le Cours Ordinaire" (Fnac Montparnasse), l'autre pour" Grand lièvre" (St Lazare, ou inversement),. L'exercice n'est pas très difficile tant il est disert et à l'aise avec le public venu boire ses propos avant la séance de dédicaces. Faut juste tenter d'intervenir de temps en temps. Je me souviens de l'une de ces interventions où, brusquement, il s'est mis à m'interdire de le tutoyer, juste pour rigoler…

 

- Concernant les propos ci-dessus, c’est assez représentatif des attaques de Murat (ponctuelles ou régulières ?) contre les médias, mais aussi le trio Inrocks/Télérama/Libé, des journaux qui jamais ne lui en tiendront réellement rigueur (un peu les inrocks). Qu’en pensez-vous ? Réel rejet politique ? Peur du succès qui le pousse à se couper de son public « traditionnel » ?

Ph. Barbot: Cf ce que je disais plus haut sur le côté "politiquement incorrect". Mais je pense au contraire que le succès, s'il ne l'obsède pas, ne fait nullement peur à Jean-Louis.

 

Inter-ViOUS ET MURAT- n°18   : Philippe BARBOT

- Enfin (pour en finir avec votre parcours avec Murat), on vous retrouve comme auteur de plusieurs «dossiers de presse» : Le Cours ordinaire et Grand Lièvre (je ne sais pas si vous en avez rédigé d’autres – Hugo en a fait je crois après vous). Que pouvez-vous nous dire de cet exercice (un « ménage » de journaliste musical) ? *

* vous avez fait aussi celui de « SANS MOI » pour Bertrand Louis, sans doute amicalement.

Ph. Barbot: Il m'arrive, comme beaucoup de journalistes, d'être sollicité pour écrire des "bios", soit par la maison de disques, soit par l'artiste lui-même. Libre à nous d'accepter ou de refuser, même si la plupart du temps ces exercices ne sont pas signés. La seule règle est, en principe, de ne pas chroniquer/critiquer le disque en question. Ce qui n'empêche pas parfois d'en profiter pour faire un papier informatif dans le registre "interview". En ce qui concerne Bertrand Louis, c'était en effet purement amical : d'ailleurs c'est lui qui a écrit la bio de mon nouvel album, album qu'il a réalisé.

 

- Murat dit souvent que pour chaque album, il faut un truc à raconter aux journalistes… Il est assez fort là-dessus. De son côté, Bertrand Burgalat dans technikart disait il y a peu avoir de quoi faire un disque, mais reculer parce qu’il n’avait aucun « storytelling » à proposer. Que pensez-vous de ce phénomène moderne qui renforce d’ailleurs le rôle du dossier de presse (qui sera gobé tel quel par des centaines de sites et les journalistes paresseux…) ?

 

Ph. Barbot: En tant que journaliste, j'ai toujours pensé que mon boulot n'était pas de servir la soupe mais de raconter des histoires, quitte à ce qu'elles se limitent parfois à des anecdotes. J'ai même poussé le vice jusqu'à en faire un bouquin…

 

- Dans ce livre, justement, Murat est évoqué, mais c’est avant tout Wyatt dont vous dressez le parcours. Vous êtes-vous posé la question de le faire figurer de manière plus importante? Cela m’interroge du coup sur la place que vous pouvez lui accorder au milieu de ce hall of Fame (où figure Bashung, Christophe, Dutronc, Higelin, Brassens) ? Qu’est-ce qui lui manque pour rentrer dans la « légende »

?

Ph. Barbot: Encore quelques années, peut-être. Et un éventuel tome 2 du bouquin…

 

- J’ai envie de vous poser la même question sur Manset, que vous avez interviewé plusieurs fois. N’y avait-il pas matière de nous conter quelques souvenirs ? (Je me demande en fait si, puisqu’on sent que vous avez voulu « rendre hommage », et toujours porté (à quelques remarques prêtes) un regard bienveillant (vous vous dites fan à plusieurs reprises), s’il n’y pas certaines choses qui vous ont empêché de traiter de Manset ?)

Ph. Barbot: Rien ne m'a empêché de parler de Manset (pas plus que de Souchon, Voulzy, Sheller, Annegarn, et autres artistes que j'apprécie) mais il fallait bien faire un choix, à moins de publier un bouquin de 500 pages.

 

- Le titre « Backstage » est en fait un peu trompeur, on pouvait s’attendre à des détails un peu plus « croustillant », mais il semble que vous vous y êtes refusé, ce qui est à votre honneur. D’ailleurs, dans le livre, vous vous racontez toujours comme un journaliste, et jamais comme l’ami de tel ou tel, est-ce que c’est important pour vous de conserver une distance « journalistique » avec les artistes, même si vous nous racontez les repas qui s’éternisent ?

Ph. Barbot: Le titre Backstage a été l'objet de longues tractations avec l'éditeur. J'aurais préféré un titre en français plus clin d'œil (genre "Héros et Vilains", allusion à un morceau des Beach Boys) mais au bout du compte je pense que Philippe Rey a eu raison. Le titre, même s'il peut être trompeur, claque et accroche. Et puis ça sonne mieux que "Coulisses", non ?

Quant aux amis, c'est affaire de vie privée. Les relations journalistiques, donc professionnelles, sont, elles, d'ordre public. La différence s'arrête là, mais elle est cruciale.

 

- Vous évoquez deux/trois fois dans le livre comme il est difficile de poser des questions originales (ça m’a relaxé du coup au moment de vous poser les miennes) , et vous portez parfois un regard amusé sur vos propres questions (ou vous décrivez comme avec Lou Reed comme une interview peut réussir sur un détail ou une question)… L’exercice de l’interview classique et de sa reproduction telle quelle vous a-t-elle moins intéressé tout au long de ses années que la rédaction d’un article relatant la rencontre ? Est-ce uniquement par plaisir de l’écriture ? Je ne crois pas d’ailleurs que vous vous soyez intéressé à la radio qui se prête sans doute mieux à cet exercice ?

Ph. Barbot: A l'interview classique, questions-réponses, j'ai toujours préféré l'exercice du portrait, émaillé de citations. Qui, il est vrai, oblige à un effort d'écriture, ce qui n'est pas pour me déplaire. Une interview, pour moi, est surtout une prise de contact qui, dans le meilleur des cas, peut aboutir à un dialogue (sauf dans le cas de Lou Reed…).

Quant à la radio, j'en ai fait il y a quelques années (France Bleu) et j'ai trouvé ça aussi physiquement éprouvant que diablement excitant.

 

 

Inter-ViOUS ET MURAT- n°18   : Philippe BARBOT

- Une des choses agréables du livre c’est cet effort de transmission, et cet amour de la musique qui transpire… Vous dites bien dans le livre que vous détestez quelques trucs dans le livre, mais on sent un regard bienveillant. Que pensez-vous des collègues qui se font un peu une spécialité de ne rien aimer ? (je pense à Ungemuth par exemple*). Quels sont les gens que vous appréciez ou les « grandes » plumes de « critic rock » en France ?

* qui déclare par exemple : « le rock français aujourd’hui ? N.U. : Je ne suis pas un bon client pour toi parce que je n’ai jamais écouté de rock français de ma vie, en dehors des Dogs et éventuellement de Métal Urbain. Le rock est anglo-saxon et les Français n’ont rien à y faire. Je trouve que les langues anglaise, italienne ou portugaise sont musicales, mais pas le Français ou l’Allemand. Moi, Wagner, je n’écoute que les ouvertures. Dès que ça chante, je m’en vais. « Le principe même de nouveauté, je n’en ai rien à foutre ! » -Il y a des groupes récents que tu aimes ? N.U. : Non, pas du tout ! Le principe même de nouveauté, je n’en ai rien à foutre ! »

 

Ph. Barbot: Je préfère la mauvaise foi talentueuse aux postures formatées. Les "rock critics" français (oxymore) qui ne se sont jamais remis de la lecture de Lester Bangs, m'amusent plus qu'ils ne m'agacent. Je me considère avant tout comme un journaliste, spécialisé musique par passion, non comme un critique exerçant sa plume par humeur. Pour les noms de confrères, je me contenterai de la réponse de Gainsbourg : no comment.

 

- Vous avez fait un disque de chansons en 2012, et vous avez dit que Murat avait été le premier à l’écouter… Pouvez-vous nous en dire plus ? Vous souhaitiez son avis en particulier ? Est-ce un hasard?

Ph. Barbot: Je lui ai glissé le disque discrètement dans son sac, dans les loges de je ne sais plus quel concert. Quelque temps après, il m'a envoyé un mail me disant qu'il avait apprécié, qu'il écoutait le disque sur la route en tournée, mais que maintenant, il fallait m'attaquer à la suite... Ce que j'ai fait, puisque mon deuxième album, Dynamo, réalisé par l'excellent Bertrand Louis, est terminé.

 

- Vous vouliez faire un deuxième disque différent. Le sera-t-il? et en quoi? Et quand va-t-il sortir? Toujours chez Believe?

Ph. Barbot: Le deuxième album est presque entièrement électro. Il a été joué et enregistré à quatre mains, en compagnie de Bertrand Louis. Il est aussi, je crois, beaucoup plus sombre que le premier. Vous pouvez en avoir un court aperçu (auditif et visuel), grâce au premier clip (ci-dessous).

Le disque sortira en digital chez Believe, sans doute à la rentrée. Pour le physique, pour l'instant sans label ni distribution, on verra. Si vous avez des idées, je suis preneur...

 

https://www.youtube.com/watch?v=FFQJNgQOOCk&feature=youtu.be

 

 

Merci Philippe Barbot!

Interview réalisée par mails du 28/03 au 04/04/2015 (ça n'a pas trainé). Il n'est pas question du livre "Coups de tête" puisque Philippe en ignorait l'existence. Désolé que les questions soient plus longues que les réponses. Ultime précision: j'ai acheté le livre "Backstage" (à la FNAC d'Annecy).

 

La suite avec les articles signés Barbot :

http://www.surjeanlouismurat.com/2015/04/philippe-barbot-suite-ses-articles.html

Inter-ViOUS ET MURAT- n°18   : Philippe BARBOT

LES LIENS EN PLUS:

-Site officiel:

http://phbarbot.com/

- Le blog de Philippe Barbot sur yahoo:

https://fr.news.yahoo.com/blogs/c-est-ma-tournee/

- Le livre Baskstage, http://www.philippe-rey.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=264

Avec sa plume alerte et amusante, on y retrouve les grandes rencontres de P. Barbot (avec que des très grands noms), un peu de coulisses, de vécu, la vie du journaliste qui n'en oublie pas d'être fan, mais surtout des mini-bios sélectives, des portraits... très intéressants, notamment pour ceux qui comme moi ne savent pas tout sur tout.

- Le premier album "Point barre": http://www.deezer.com/album/1418755

http://musique.fnac.com/a4060959/Philippe-Barbot-Point-barre-Exclusivite-Fnac-CD-album

 

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 26 Mars 2015

Comme notre politique éditoriale nous l'impose, nous essayons de vous tenir informés de l'actualité des artistes qui ont travaillé ou été proches de Murat. Matthieu, en fin limier de la news fraîche, a donc saisi l'occasion d'un concert de Silvain Vanot à Clermont pour l'alpaguer et organiser une rencontre.

On ne va pas vous refaire toute l'histoire de la relation Vanot/Murat, on l'a déjà évoquée sur ce blog (notamment ici, ici et , ce qui explique que Matthieu ne nous propose pas une "inter-ViOUS ET MURAT"). Mais on rappellera que Jean-Louis a chanté sur scène, comme l'indique le site officiel, une des chansons de Vanot, "Pétain FM" (si quelqu'un en possède une version, qu'il se fasse connaître, ou se taise... 5 minutes avant de nous l'envoyer !).

Après un "Live-report-portrait" (illustré par de jolies photos de Florenza – merci à elle !), vous pourrez écouter une interview réalisée avec Thibaud de Radio Campus. Vanot y tient des propos très élogieux sur Jean-Louis Murat (l'homme et le musicien), explique l'importance de Toboggan dans certains de ses choix récents, mais aborde aussi plein d'autres sujets : Rocksound (feu magazine made in Clermont à l'origine de sa rencontre avec Murat), Dominique A, Les Inrocks, le rock en français, Pain-Noir, le design sonore, et bien d'autres choses... Une très belle interview que je vous invite ardemment à écouter, même si cela nécessite d'avoir un peu de temps devant soi !

(En passant) Vanot brille

Silvain Vanot ne sera resté qu'une journée en Auvergne. Suffisant pour le voir chanter et l'écouter parler.

 

Clermont-Ferrand, les 14 et 15 février 2015. Il était étonnant de voir, par une belle soirée d'hiver et de Tournoi des 6 Nations (Irlande 18 – France 11), un artiste tel que Silvain Vanot se produire devant une cinquantaine de personnes, dans un petit restaurant du centre-ville. Lui qu'un journaliste du Monde (le même qui fit plus tard de Clermont la "nouvelle capitale du rock français") plaçait il y a vingt ans au sein du "triumvirat en vogue du moment" censé renouveler la chanson nationale, en compagnie de Dominique A (tête d'affiche du prochain Europavox) et Miossec (qui jouait, voici quelques semaines, devant une Coopérative de Mai bien garnie), aurait-il été tellement distancé par ses deux compères qu'il ne puisse prétendre à une audience plus large ? En un sens, la chose est compréhensible : Vanot n'a plus de maison de disques (ayant lui-même démissionné en début de millénaire, sans attendre de se faire virer), n'a pas sorti d'album depuis six ans et n'a aucune tournée en cours. Un Zénith impromptu aurait donc paru déplacé. Pourtant, on ne peut s'empêcher de songer qu'à l'heure où la scène pop-folk locale semble redécouvrir les attraits de la langue française (Pain-Noir s'est joliment lancé fin 2014 dans un style évoquant Bertrand Belin, Alexandre Delano vient de se jeter à l'Eau dans un registre pop plutôt prometteur et d'autres projets sont en préparation – avec peut-être, au passage, une belle surprise pour les muratiens...), il eut été intéressant d'accorder plus d'exposition au travail d'un musicien qui s'essaye au difficile exercice de marier sa langue natale avec les sonorités anglo-américaines depuis pas mal de temps déjà et avec un talent certain.

DES NOUVELLES de SILVAIN VANOT (live-report et interview inédite)

Rien dans ces lignes contre Les Arcandiers, charmant restaurant situé à deux pas de la Cathédrale, qui formait un écrin feutré et cosy pour la musique de Vanot. La décoration de ce bar à vin, avec son éclectisme de brocante, convenait d'ailleurs bien aux chansons du sieur, qui évoluent souvent entre des pôles contraires – la caresse et la griffure, le rock bruyant et la ballade bucolique. La date du concert était tout aussi pertinente et la vedette du soir avait le bon goût, en cette Saint-Valentin, de faire retentir dès son deuxième morceau "Les cloches de l'amour". Nous allions donc assister à un concert de chansons, ce qui n'était pas garanti sur le papier, puisque l'artiste s'est beaucoup consacré ces dernières années à la musique instrumentale, qu'il travaille en étroite collaboration avec des cinéastes, accompagne des musiciens d'horizons divers (de Mareva Galanter à Sport Murphy, le champ est large...), s'essaye à l'illustration sonore ou bien improvise en duo avec Noël Akchoté, guitariste de jazz dont la productivité discographique ferait passer Murat pour la pire des feignasses. Mais ce soir, équipé d'une guitare électrique, de quelques pédales et de deux harmonicas, Vanot a décidé de chanter. "Une rengaine, une chanson / Et les mensonges qu'elle égraine / En petits monceaux de frissons / Une rengaine pour nos peines / Les mensonges qu'elle égraine / C'est tout". On s'en satisfera largement.

DES NOUVELLES de SILVAIN VANOT (live-report et interview inédite)

Le voici donc parti pour interpréter quelques compositions issues principalement de ses deux derniers albums, Il fait soleil (2002) et Bethesda (2009). Une poignée de chansons d'amour dans des registres variés, une belle nouveauté prénommée "Lucie", des envolée de Sioux sur "Hawaii", une version inédite de "Rivière" à la guitare (alors qu'elle est superbement jouée au piano sur le disque)... Le récital se déroule sans heurts, le public se montre chaleureux, le chanteur plaisante volontiers, ironisant sur les tubes que ne sont jamais devenus ses morceaux ou rappelant qu'il possède la médaille de la Ville (comme tous les anciens jurés du Festival du Court métrage). Peut-on dire des chansons de Vanot, après plus de deux décennies, qu'elles auraient une spécificité qui sauterait aux oreilles ? Existe-t-il une Vanot's touch ? Si tel est le cas, peut-être réside-t-elle dans la faculté du songwriter à manier la naïveté sans s'y engluer. Vanot, en 2015, est capable de personnifier la femme aimée en rivière, d'assimiler un baiser à une bouée de sauvetage ou de chanter une amourette en barque sans que cela paraisse mièvre. Question de choix des mots associés à la bonne mélodie, comme dans toute chanson réussie ; d'un savoir-faire incontestable dans l'usage de tournures archaïsantes qui ne sonnent jamais faux ; mais encore, sans doute, d'une tendance à laisser traîner dans le voisinage de ce côté fleur bleue une certaine cruauté, qu'elle soit teintée de sarcasme ("Implacable") ou de fatalisme ("Égérie") ; enfin, d'une propension à régulièrement réactiver les liens entre sentiment amoureux et condition politique – il rappelle ainsi, en présentant l'un de ses anciens titres, qu'il n'a jamais vraiment su s'il y parlait d'amour ou de Pôle Emploi, et l'on pourrait sans difficulté retrouver pareille ambivalence ailleurs dans son œuvre.

"Deux-trois notes, quelques phrases pas trop sottes"... "Lucie", filmée ici par David Chambriard.

Au moment où l'on était sur le point de penser qu'avec ses couplets et refrains sagement ordonnés, sa guitare et son pupitre, Vanot donnait un vrai concert de hanhon française (l'expression, ironique, est de Loïc Lantoine), édulcoré de la hargne rock de ses débuts, il a la bonne idée d'augmenter le volume sonore et l'électricité de son set avec une reprise d'un titre du groupe Wire, enchaîné directement avec "Le soutien du Roy". Le concert bascule et Vanot va maintenant puiser dans ses premiers albums des morceaux qui suscitent chez plusieurs spectateurs des réactions de plaisir, le genre de plaisir procuré par un sentiment de familiarité ou, mieux, par des retrouvailles avec de vieux copains. Lesquels ont ici pour noms "L'instant que je guette", joué sans harmonica, "Sous ta fenêtre", tout en puissance et incorporant un couplet du classique "Scarborough Fair" ou "La vie qu'on aime", morceau cher à Bernard Lenoir, l'un des premiers découvreurs du chanteur au début des années 90. Lenoir, qui a la mémoire longue et l'amitié fidèle, au point d'avoir sélectionné Vanot sur le second volume de sa compilation L'Inrockuptible, écrivant à son propos : "Une belle sensibilité. Un artiste très touchant, pétri d'humanité." Autant de qualités qui transparaissent encore dans les deux inédits que Vanot glisse entre ses classiques et que l'on aimerait avoir l'occasion de réentendre plus attentivement, ce qui devrait être possible sur un prochain album prévu pour cette année 2015.

DES NOUVELLES de SILVAIN VANOT (live-report et interview inédite)

Après avoir simulé un passage par une loge imaginaire et avoir remercié l'impressionnant boxeur dont la présence massive rassure, en cette période où Vigipirate rougeoie jusqu'à l'écarlate, Vanot revient volontiers pour quelques titres supplémentaires. D'abord avec "Île-de-France", l'une des chansons les plus originales de son répertoire, hommage doux-amer à sa région d'adoption doublé d'une élégante variation autour de l’œuvre de Salvador, puis avec une nouveauté pour laquelle il sollicite le calme et l'attention de l'assistance. Un vœu pieux quand on joue dans un bar, un samedi soir. Mais il est loin le temps où Vanot pouvait prendre la mouche pour un manque de concentration du public, il interprétera donc cette composition, présentée comme douce et dure à la fois, dans un léger bruit de fond, pour les quelques spectateurs attentifs des premiers rangs. Ces bons élèves se verront même gratifiés d'un dernier titre, pioché dans le classeur utilisé par l'ex-professeur pour ses conférences sur l'histoire de la chanson américaine, en l'occurrence une reprise du standard "People get ready".
Ready, Vanot l'est encore le lendemain matin, après une courte nuit de sommeil, pour répondre aux questions de deux zèbres bien décidés à l'interviewer malgré son emploi du temps serré. Une heure et demie durant, il revient sur vingt ans de parcours musical, accepte volontiers d'analyser réussites et déconvenues, avec une capacité à l'autocritique qui ne verse ni dans l'aigreur revancharde ni dans un autodénigrement trop facile. Il se montre bienveillant, joueur par moments et toujours chaleureux quand il s'agit d'exprimer sa gratitude envers tel ou tel musicien croisé en chemin (Murat tout particulièrement). Avant de partir déjeuner avec son ami Gilles Dupuy (fan de la première heure et instigateur de son passage éclair en Auvergne), puis de s'en retourner dans l'atmosphère passablement plus polluée de cette Île, dite de France, qu'il chantait la veille...

DES NOUVELLES de SILVAIN VANOT (live-report et interview inédite)

Vanot nous l'a donc annoncé avec la calme détermination qui le caractérise : "Le disque existera et les gens qui auront envie de l'entendre l'entendront." Ce nouveau projet bénéficiera-t-il d'un lancement en fanfare dans le vaste auditorium de Radio France, à l'instar du dernier opus de Dominique A, son vieux compagnon de route et de (beaux) duos ? Probablement pas et, tout bien considéré, ce n'est pas si grave. Au contraire. Car à cinquante ans passés et avec plus de vingt années de carrière au compteur, Vanot est enfin débarrassé des multiples étiquettes approximatives dont il fut affublé depuis ses débuts, souvent avec les meilleures intentions. C'en est fini du "Neil Young normand" (Kent, 93), du "Clément Marot du rock" (Bayon, 97), du "rocker lettré" (Davet, 2002) ou du "mal-aimé des nouveaux chanteurs français" (Vergeade, 99), "chanteur minoritaire, au dossier de presse plus fourni que les relevés Sacem" (Bernier, 02). Il n'est plus le représentant d'une quelconque nouvelle vague, mais juste un artiste qui a beaucoup bourlingué (musicalement et géographiquement, les deux allant souvent de pair) sans y laisser toutes ses plumes, qui n'a sans doute pas produit d'album parfait, mais a réussi à semer sur sa route quelques très belles chansons, restées gravées dans la mémoire de plus d'un auditeur, et qui, en outre, ne s'est jamais privé de réfléchir à son métier. De sorte que sa position sur la scène francophone, tout en étant périphérique, est plutôt intéressante : ni porte-drapeau, ni poète maudit, Vanot est un outsider séduisant qui pourrait bien incarner un point de repère, au scintillement délicat, pour celles et ceux qu'excite encore le défi d'unir le rock (sous toutes ses formes) avec cette langue régionale parlée par quelques 200 millions de personnes sur la planète... Et à celui dont les trois quarts des chansons gravitent autour de la question : "Veux-tu encore de moi ?", il serait temps, pour tous ceux qui l'apprécient, d'apporter une réponse affirmative dénuée des réserves habituelles (sur son physique, sa voix, ses ventes de disques, etc.). Car en 2015, derrière son pelage poivre et sel et son sourire discret, Vanot n'est toujours pas vanné. Qu'on se le dise et qui l'aime le suive !

DES NOUVELLES de SILVAIN VANOT (live-report et interview inédite)

L'entretien avec Silvain Vanot, enregistré à Clermont-Ferrand, le dimanche 15 février 2015, à l'heure de la messe (d'où la présence inattendue d'un orgue liturgique) est à écouter ici :

https://www.mixcloud.com/La_mouche_d%C3%A9coche/rencontre-avec-silvain-vanot/

 

Rencontre avec Silvain Vanot by La_Mouche_Décoche on Mixcloud   (séquence sur Murat notamment vers la 52')

 

Dossier réalisé par Florenza, Thibaud et Matthieu.

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REMERCIEMENTS : Un grand merci à Silvain Vanot pour sa disponibilité et son accueil bienveillant à nos diverses sollicitations.

Merci à Gilles Dupuy d'avoir eu la bonne idée d'organiser ce concert, sans autre motivation apparente que le simple plaisir, aux Arcandiers de l'avoir accueilli, à Daniel Larbaud de s'être chargé du son, à David Chambriard pour la captation de "Lucie", à Radio Campus Clermont-Ferrand pour les moyens techniques, à L'Oreille Absolue pour la précieuse documentation, à Pierrot pour la liberté de manœuvre à peu près infinie.

Florenza et Thibaud, quoique rompus de fatigue et grippés, se sont révélés de vaillants et indispensables compagnons, la première derrière son Canon, le second derrière la console. Surjeanlouismurat.com les remercie chaleureusement.

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RAPPELS : Silvain Vanot dispose d'un site internet, où vous pourrez retrouver sa discographie et suivre son actualité, ainsi que d'un blog qu'il alimente de réflexions personnelles sur la musique.

Thibaud, qui a coréalisé ce dossier, anime toujours une émission bimensuelle sur Radio Campus Clermont-Ferrand, Le Petit Lait Musical, où il reçoit (principalement) des artistes de la scène clermontoise. Vous pouvez suivre sa programmation sur sa page Facebook et réécouter ses anciennes émissions sur le site de Radio Campus. Pour les étourdis qui l'auraient manquée, on signalera tout particulièrement sa longue rencontre avec Christophe Pie, enregistrée cet automne au domicile du musicien.

Enfin, du côté de Radio Campus Paris (N.D.L.R. : Paris est cette petite bourgade située au nord de Clermont-Ferrand), vous pourrez découvrir un nouveau titre de Silvain Vanot, "Je suis le carnet de route", retenu par l'émission La Souterraine sur une compilation parue au mois de janvier et disponible ici-même.

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Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 22 Janvier 2015

Nous avions déjà parlé à Bertrand en novembre 2013 (interview à lire ici) à l'occasion de la sortie de son excellent disque "sans moi", la mise en musique de textes de P. Muray, projet que Murat avait entrepris. Le disque a été honoré par un "coup de coeur" de l'académie Charles Cros. On peut encore l'écouter "en live" le 3 FEVRIER à la maison de la poésie à Paris.

Quand Pierre Krause m'a demandé quel artiste pourrait reprendre Murat lors de la soirée LIVRE UNPLUGGED (21 février à la Bellevilloise), le nom de Bertrand Louis est sorti rapidement... aussi rapidement que sa réponse, favorable. Mal (ou bien?) lui en a pris: "Et quand même vous m'emmerdez parce que je crois que je suis en train de retomber amoureux de Murat à cause de vous..." m'a-t-il écrit.  Il a accepté d'actualiser son "inter-ViOUS ET MURAT"... et de nous parler des deux soirées parisiennes qui s'annoncent!

 

 

 

Inter-ViOUS ET MURAT- n°17: Bertrand LOUIS, soirée Murat du 21 Février

 

- Je voulais d'abord faire le point sur "sans moi"... On n'est pas tout à fait à la phase de bilan puisque vous avez encore au moins une date mais...

Bertrand Louis : Je n’aime pas trop faire le point ou le bilan car j’ai l’impression d’être toujours en mouvement. On peut tout du moins dire que la phase « disque » est terminée d’autant plus que ma maison de disque a déposé le bilan ; pour le coup ce sont eux qui ont fait le point ! Pour ce qui est du « spectacle » en revanche, cela continue avec une date importante à la Maison de la Poésie à Paris le mardi 3 février et quelques dates aux printemps. Finalement la « renommée » de Philippe Muray ne me sert pas vraiment car les programmateurs soit ne le connaissent pas, soit sont réticents. J’ai vraiment envie de continuer à développer ce spectacle dans lequel je me sens bien, même si je travaille déjà sur d’autres choses. Dans une optique plutôt « théâtre » je suis moins assujetti à l’actualité du disque. D’autant plus que Muray va en avoir, de l’actualité, puisque son journal va être publié à raison d’un tome tous les 6 mois pendant 3 ans.

 

- Donc vous continuez Muray mais en ajoutant des lectures, c’est cela ? Qu’est-ce que vous pourriez nous dire de cet exercice par rapport à l’interprétation d’une chanson ?

Bertrand Louis : Oui il y a quelques lectures en plus mais pas trop car je ne veux pas que cela devienne trop « intello ». J'aime de plus en plus l'alternance entre la lecture et le chant, même si ce n'est pas du tout évident de passer de l'un à l'autre. Pour la lecture, il faut être beaucoup plus froid et précis à mon avis, si on interprète trop cela devient ridicule. Il y a comme une tension dans la lecture qui peut se résoudre ensuite dans la chanson, ou l'inverse d'ailleurs. En fait, comme je ne parle pas au public, cela permet de remplacer. Et puis je trouve qu'avec une légère mise en scène cela donne un côté un peu moins « frontal » qu'un pur concert chanson. Nous avons aussi rajouté quelques « voix off ».

 

- Tiens, sur le thème du rapport avec le public, vous disiez dans notre précédente interview :

Je me souviens avoir adoré cette attitude du mec [Murat] qui chante ses chansons et n’a pas besoin d’en faire des tonnes à côté. C’était une époque où il y avait pleins de connards autour de moi qui pensaient que si j’étais plus sympa sur scène ou que si je me faisais « coacher », cela marcherait mieux pour moi ; son état d’esprit m’avait rassuré.

Le fait est que certains ressortent d’un concert de Murat en pensant qu’il faisait la gueule… et celui-ci souvent se résout à parler (c’est une consigne de sa manager je pense)… alors qu’il a aussi expliqué que cela le faisait « sortir » de son concert*… Monter sur scène implique forcément un compromis, celui d’être là si on n’a pas envie, d’être dans une mise en scène, une communication… Qu’est-ce que vous en pensez en tant qu’artiste et spectateur ?

*il arrive aussi qu’il se lance dans du blabla… pour gagner du temps, avant une chanson dans laquelle il a dû mal à se lancer…

Bertrand Louis : Question délicate que le rapport au public. Je pense que chacun doit faire comme il le sent, qu'il n'y a pas de règles. Ne pas parler et/ou « faire la gueule » ne veut pas forcément dire que l'on est absent. Si l'on va sur scène sans en avoir envie, il vaut mieux changer de métier. D'un autre côté, les chanteurs qui parlent plutôt bien et beaucoup au public peuvent ensuite leur balancer n'importe quelle merde, et ça passe ! Je pense que l'important est de gérer la conduite du concert, peu importe de quelle manière. Bon, c'est un peu flou ce que je suis en train de raconter, là.

Inter-ViOUS ET MURAT- n°17: Bertrand LOUIS, soirée Murat du 21 Février

- Alors, venons-en à cette soirée du 21 Février. Chanter des chansons des autres, est-ce que c’est un exercice que vous affectionnez ? Et chanter du Murat, est-ce un exercice particulier ?

Bertrand Louis : J'avais déjà fait quelques reprises par le passé (Ferré, Gamine, Dréjac-Constantin...) et c'est effectivement quelque chose que j'aime. Je vous avoue, qu'au départ, même si j'étais très flatté qu'on me propose de chanter Murat, j'étais un peu impressionné par l'ampleur de la tâche (une dizaine de reprises !). J'ai mis un peu de temps à trouver mon truc car la plupart de ses chansons sont basées sur un groove plutôt guitare et je voulais les jouer au piano. Mais je pense que j'ai trouvé petit à petit ma manière de les jouer et de les chanter et c'est devenu un vrai plaisir. J'ai en plus découvert de vraies pépites à côté desquelles j'étais un peu passé. Effectivement ce qui est particulier avec Murat, c'est que le texte, le groove et la voix sont très intimement liés et que parfois, enlever un ingrédient fait chanceler l'ensemble.

 

- Ah, oui, j’aime beaucoup la chanson de Gamine. Sans dévoiler la set-liste, qu’est-ce qui a guidé votre choix avec Olivier ?

Bertrand Louis : Nous en avons parlé simplement et nous sommes assez vite tombés d'accord. J'avais envie que cela tourne pas mal autour de Mustango (vous savez pourquoi...) et cela ne l'a pas dérangé. Ensuite, nous avons aussi essayé de reprendre des chansons sur toute la période, des tous débuts à aujourd'hui.

 

- Qu’avez-vous pensé de Babel ?

Bertrand Louis : Pour être franc, je l'ai trouvé un peu touffu à première écoute, mais ce n'est pas forcément un défaut. Et puis j'apprends petit à petit à apprivoiser la bête, titre par titre, surtout que j'ai vraiment envie d'en chanter une chanson le 21 février. Il faudrait que je pousse un peu l'écoute et la réflexion, mais on a comme l'impression d'un nouveau départ (encore!) dans sa discographie.

 

- Un petit mot sur vos dernières collaborations. On parlait du rap la dernière fois, et vous venez de réaliser l’album de NEGROTRIP? Et ANDONI ITURRIOZ ?

Bertrand Louis : Oui effectivement j'ai travaillé sur un EP avec un jeune groupe de rap de mon quartier (enfin du quartier d'à côté), ils en sont à leurs débuts mais je les trouve talentueux. J'ai découvert un univers que je ne connaissais que très peu, finalement. Ils sont marrants car ils m'ont dit qu'ils faisaient une pause dans le rap (déjà!) pour passer leur bac, c'est très sérieux, mais finalement assez réaliste. Un jour, je leur ai fait écouter ma chanson « Lâche-moi tout » pour leur dire que le rap m'influençait également et ils m'ont dit « Ah mais Monsieur vous êtes un bandit ! »...j'étais très flatté. Avec Andoni Iturrioz, c'est déjà le deuxième album que je réalise et l'on s'entend à merveille. J'aime beaucoup travailler avec lui car il n'a aucun code et aucune barrière. Il me dit par exemple : « Là, il faut que ce soit la fin du monde pendant 8 mesures... » et je dois faire avec.

 

- Pour finir, vous avez semble-t-il choisi le silence ces derniers jours, mais avez partagé sur fb le titre FUTUR ÉTERNEL DE SUBSTITUTION. Est-ce que vous souhaitez exprimer vos sentiments sur les événements (ou sur cette chanson)?

Bertrand Louis : Oui le silence est aussi une façon de s'exprimer, de porter le deuil. Je suis effaré par tout ce vacarme. J'ai eu le malheur de traîner un peu trop sur internet et sur les réseaux sociaux ces derniers jours et je suis vraiment lessivé. Je n'ai qu'une envie : dormir pendant 2 mois...et je ne peux pas malheureusement. Il y a quelque chose qui sonne faux dans tout ça.

« Futur éternel de substitution » est une chanson qui peut exprimer ce qui s'est passé dimanche « Nous aurons des journées nationales et mondiales... » et je ne sais pas, je trouve qu'il y a quelque chose d'apaisant à la fin « N'aie pas peur mon amour il restera le jour ». Mais j'ai surtout envie de relire le terrible « Chers djihadistes » écrit par Philippe Muray en 2002 où il conclut par ce retentissant « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts. »

Inter-ViOUS ET MURAT- n°17: Bertrand LOUIS, soirée Murat du 21 Février

RAPPEL:

- Maison de la poésie, Mardi 3 Février, 20 heures. Récital autour de SANS MOI

Les infos sur le site officiel: http://www.bertrandlouis.com/ Il reste encore de la place.

- Soirée LIVRE UNPLUGGED, avec www.surjeanlouismurat.com (oui, c'est moi):

Samedi 21 Février

On a eu de la chance: pas de concert de Murat ce soir-là, on ne lui fait pas de concurrence! Avec Bertrand Louis et Olivier Nuc, et avec la participation amicale de Marjolaine Piémont et Antonin Lasseur. Deux duos inédits...au prix de zéro, puisque l'entrée est gratuite... même si vous pouvez consommer au bar, ça nous arrange!

Il est possible de commander des tirages de photos à P. Gressien, qui sera présent. Il les a réalisé lors de l'émission LE RING. Visibles ici (notamment la photo qui figure sur l'affiche).

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 7 Janvier 2015

- Dis Pierrot, t'as pas une idée?

- Si... mais pas qu'une...

Voilà comment je me suis retrouvé embarqué dans cette belle aventure de la soirée Murat Livre Unplugged, qui aura lieu le samedi 21 février, à la Bellevilloise à PARIS, et bien que je n'aime pas trop sortir de mon fauteuil, bien calé avec l'ordi sur les genoux (mise à part 2/3 concerts l'an),  j'ai même décidé d'y assister.. même si j'espère qu'on vous permettra de discuter avec d'autres "guests" de l'univers muratien ce soir-là.

Mais à part ça, Pierre Krause, à la question! Dis nous en plus sur les Soirées Livre Unplugged.

 

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Inter-ViOUS ET MURAT copinage: 

PIERRE KRAUSE, co-fondateur de LIVRE UNPLUGGED

 

 

Interview Pierre Krause, soirée Livre Unplugged Murat

C'est quoi l'histoire de "LIVRE UNPLUGGED"?
Avec la journaliste Lauren Malka, nous avons créé ces soirées il y presque trois ans. Cela doit représenter une vingtaine de dates, toutes consacrées à des grands artistes du rock et du jazz. Nous sommes restés fidèles à notre concept de départ : proposer un portrait musical d'une icône à travers un concert de reprises effectuées par un artiste ou un groupe et un biographe qui vient, entre chaque chanson, partager avec le public quelques anecdotes sur ces chansons et sur la vie de l'artiste.
Depuis que nous organisons ces soirées à la Bellevilloise on peut compter sur un public de 100 à 200 personnes environ. Il y a des habitués, acquis à la cause des soirées Livre Unplugged, des gens qui viennent écouter le concert autour de leur artiste préféré et des curieux qui viennent prendre un verre à la Bellevilloise. L'entrée est toujours libre. Tout le monde est welcome.

 

 

Concrètement, à quoi doit on s'attendre 21 février ?
Bertrand Louis et Olivier Nuc vont interpréter une dizaine de chansons de Jean-Louis Murat qu'Olivier Nuc va commenter en les resituant dans leur contexte d'écriture. Ce sera l'occasion de dresser un portrait musical d'un chanteur dont la vie reste assez méconnue.
Ensuite, Antonin Lasseur et Marjolaine Piémont vont interpréter certaines des chansons les plus connues de Murat pour conclure la soirée.
Derrière la scène nous projeterons de nombreuses photos de Murat dont certaines signées Philippe Gressien qui sera présent.

 

 

Quelles sont tes grands souvenirs ou anecdotes autour de ces soirées ?
Mon meilleur souvenir concerne l'artiste dont j'avais peut-être le moins d'affinités. Je ne suis pas un grand amateur de jazz mais on avait décidé avec Lauren de consacrer une soirée à Django Reinhardt. J'ai profité de la soirée comme d'un curieux qui ne connaissait ni l'oeuvre ni la vie de l'artiste en question. Alexis Salatko lui a dressé un sublime portrait magnifié par les chansons de Django interprétées par le groupe Monsieur Jacquet.

Sinon, on a eu l'immense privilège, lors d'une soirée consacrée à Alain Bashung, de voir débarquer dans la salle Jean Fauque en personne. Il avait déjà participé à une soirée autour de Dessous de Songs un livre qu'il avait cosigné chez Ring mais je ne m'imaginais pas qu'il allait venir à cette soirée consacrée à Bashung. Il est non seulement venu en spectateur mais il a également chanté sur scène avec notre guitariste David Scrima. C'était un très beau moment qui a je pense touché chaque personne qui était dans la salle.

 

 

Est-ce que tu as eu l'occasion de parler de Murat avec certains de tes invités?
En préparant une soirée consacrée à David Bowie avec Olivier Nuc, je ne me suis rendu compte que ce dernier était non seulement un grand fan mais aussi un grand connaisseur de l'oeuvre de Murat. Il m'a raconté qu'il était déjà allé quelques jours chez lui et que Murat lui-même lui avait appris à jouer certaines de ses chansons ! L'idée d'une soirée sur le chanteur auvergnat était alors déjà présente dans mon esprit même si je pensais qu'elle était irréalisable.
Un peu plus tard, Olivier Nuc m'a dit qu'il avait organisé un événément très proche du concept des soirées Livre Unplugged avec Florent Marchet avec un concert commenté autour de JLM justement. Ce que Lauren et moi ignorions. Faire une soirée sur Murat avec

lui est une façon de joliment boucler la boucle. Il n'a pas écrit de livres sur Murat mais je n'ai jamais pensé un seul instant faire appel à quelqu'un d'autre que lui.
Je ne pense pas avoir tant parlé de Murat à mes autres invités. Je parle de lui à longueur de journée mais c'est une névrose dont j'essaie de me soigner, notamment en public !

 

 

Alors, t'es un acharné de Murat, pourquoi seulement maintenant une soirée sur lui?

Murat est probablement l'artiste que je connais le mieux, celui que j'écoute le plus, à égalité, peut-être, avec Bob Dylan ou, dans un tout autre registre, Alice Cooper.

On a fait deux soirées sur Dylan, une sur Bashung, une autre sur Neil Young. Pourquoi ne pas avoir abordé Murat plus tôt ? Cela me travaillait depuis que j'organise ces soirées avec Lauren mais je pense qu'on l'organise au bon moment. Magali Brénon a récemment écrit un très beau livre dont l'action gravite autour des terres muratienne. Le journaliste Sébastien Bataille publie une biographie en février et son dernier album, enregistré avec le Delano Orchestra rencontre un énorme succès critique mais aussi un bon succès public semble-t-il.
Il y a une sorte de momentum Murat que l'on compte bien prolonger en février avec notre soirée.

 

 

Personnellement quelle est la période de Murat que tu préfères ? Est-ce que tu imposes certaines chansons à tes invités ?
On ne leur impose rien mais on leur suggère toujours de ne pas faire l'impasse sur les tubes qui peuvent parler aussi bien aux fans qu'aux néophytes et les réunir pour chanter ensemble pendant le concert !
Sinon, c'est vraiment le biographe et le musicien qui décident de tout. L'idée étant de dresser le portrait musical de l'artiste, il est intéressant qu'ils puissent puiser dans toute la discographie de celui-ci, en ne négligeant ni les tubes donc, ni les perles méconnues, ses chansons qui ne sont peut-être connues que d'une poignée de fans mais qui ont changé leurs vies.

 

En ce qui me concerne et pour revenir à Murat, ce sont véritablement ses derniers albums qui me touchent le plus. J'ai découvert Murat à l'époque de Lilith et je ne suis jamais revenu de Parfum d'Acacia au jardin mais l'album qui me bouleverse à chaque écoute ce n'est ni Dolores (quine m'intéresse pas beaucoup), ni Mustango, ni Lilith, c'est le Cours Ordinaire des choses. Je ne dis pas que c'est son meilleur album, ni le plus riche, c'est simplement celui qui me parle le plus. Mais depuis Taormina, je ne suis pas sûr qu'il y ait un seul album qui ne soit pas proche du chef d'oeuvre.

 

 

A qui s'adresse la soirée ? Uniquement aux fans ?
Nos soirées ne s'adressent jamais uniquement aux fans de l'artiste dont il est question. Dans un lieu ouvert comme la Bellevilloise où l'entrée est gratuite, l'idée est de s'adresser aussi bien aux fans qu'aux curieux. Tout le monde qui aime le rock ou le jazz peut se retrouver autour de nos soirées. Quelqu'un qui connaît toutes les anecdotes autour d'un artiste ou d'une chanson, sera intéressé par les reprises originales et live de notre musicien et aura peut être la surprise de découvrir tout de même certains aspects méconnus de l'artiste qu'il connaît tant. Celui qui n'y connaît découvrira aussi bien les chansons que la vie de l'artiste ou d'anecdotes fascinantes.

En ce qui concerne la soirée Murat, je pense que même les réfractaires à son oeuvre peuvent être intéressés par cette soirée tant le personnage, hors norme, fascine.

Je crois également que ceux qui n'apprécient pas ses chansons et qui pensent qu'elles ne s'adressent qu'aux dépressifs notoires vont peut-être avoir quelques surprises. Il faut reconnaître que l'oeuvre de Murat demande une très grande attention. Vous ne pouvez pas l'aimer instantanément quand vous écoutez une de ses chansons à la radio. Il faut au contraire l'apprivoiser, accepter que ses chansons ne sont pas faites pour que l'on danse dessus. Une soirée de reprises de Murat par Olivier Nuc et Bertrand Louis auquel s'ajoute un mini concert bonus d'Antonin Lasseur et Marjolaine Piémont est une occasion en or pour découvrir autrement son oeuvre.

 

 

La première soirée Livre Unplugged de l'année, le mercredi 21 janvier -soit un mois pile avant le concert consacré à Jean-Louis Murat!- sera consacrée aux  Doors et son emblématique chanteur Jim Morrison !

"Pour nous raconter la vie de Mister Mojo Rising, chanteur- chaman pour les Doors mais aussi poète à Paris où il a fini sa vie à 27 ans dans circonstances encore troubles, nous pourrons compter sur scène sur Harold Cobert, auteur du livre "Jim" aux éditions Plon. Harold sera accompagné par les musiciens du groupe From Island et porté par la voix chaude et écorchée de leur chanteuse.
Rendez-vous le mercredi 21 janvier à 20h à la Halle aux Oliviers pour la rentrée rock des soirées Livre Unplugged !
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Pour la soirée MURAT,  le Rendez-vous est:

le samedi 21 février dès 19h30 à la Bellevilloise à Paris. ENTREE GRATUITE.

 

 

Les soirées LIVRE UNPLUGGED:

https://www.facebook.com/livreunplugged

- On a appris il y a quelques semaines qu'Antonin Lasseur assurera la première partie de Murat le 18/03 à Creil.

 

- Bertrand Louis sera lui le 3 FEVRIER, à la MAISON DE LA POESIE, pour jouer son spectacle "SANS MOI". On en reparle bientôt. Son "intervious et Murat" à lire en suivant le lien hypertexte à la ligne au dessus.  Celle d'Olivier NUC : à lire  ici. En attendant leur mise à jour!

 

Interview Pierre Krause, soirée Livre Unplugged Murat

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 8 Novembre 2014

Comme toujours, c'est avec fierté que nous vous proposons une nouvelle interview exclusive. Après avoir pu parler de littérature avec Magali Brénon et évoquer le petit monde des médias avec l'ami Olivier Nuc, le blog (grâce à Matthieu qui, depuis sa causerie poiscaille avec Jérôme "No Kill" PIETRI, semble s'être ouvert au plaisir simple de la discussion avec ses semblables...) vous propose cette fois d'aller à la rencontre d'un journaliste-éditeur, BENOIT LAUDIER, l'un des participants à l'ouvrage culte "Le Dictionnaire du ROCK" de Michka Assayas (auquel a également collaboré Sébastien Bataille, futur biographe de qui vous savez...). L'occasion de visiter les coulisses de ce genre d'ouvrages... mais surtout, Benoit Laudier nous livre un avis parfois surprenant sur l'oeuvre de Murat.

 - Merci Matthieu pour ce travail.  Et tu éteindras bien en sortant, ok?

 - Yes Sir !

 

 

Initials B.L.

 

     Le point de départ de cette Inter-Vious et Murat, dix-septième du nom, fut une rencontre avec Michka Assayas, en visite au festival Europavox pour promouvoir la nouvelle édition de son Dictionnaire du rock. De cet échange (à écouter ici) découla l'envie d'aller débusquer, derrière les initiales B.L. inscrites au bas de la page 1793, l'auteur de la notice sur Jean-Louis Murat. Moins pour lui chercher des noises en jouant les fans tatillons (mais non, enfin, Murat n'est pas né en 1954 !) que pour mieux faire sa connaissance et lui fournir l'opportunité de réduire un peu de l'inévitable distance requise par un ouvrage à ambition encyclopédique. Nous voici donc en ce morne mois d'août 2014 à questionner (harceler ?) B.L., alias Benoît Laudier, quadragénaire discret, vieux routard du journalisme et directeur de Vagabonde, maison d'édition catégorie poids plume (vingt-deux livres publiés en douze ans), actuellement basée à Senouillac – depuis Saint-Germain-des-Prés, prendre l'autoroute du Soleil, direction Toulouse...
     C'est Laudier qui a fondé Vagabonde, en compagnie de son frère et de deux vieux amis, tous les quatre formant selon lui une
"sorte d'association de saltimbanques, pour ne pas dire de malfaiteurs ou de pirates". Feuilleter le catalogue de Vagabonde – ou mieux : lire les livres qui le composent – suppose d'accepter de transgresser les frontières linguistiques, temporelles et de genres pour un voyage dont le sens (s'il doit y en avoir un) se révélera à la fin (s'il doit y en avoir une). Sur une carte du Tendre esquissée pour tenter de baliser le territoire parcouru figureraient sans doute, entre autres, une bourgade nommée Curiosité (celle qui pousse à combler des lacunes en allant dénicher ce texte adoré devenu introuvable, ou cet autre dont aucune traduction ne nous a jamais pleinement satisfaits, ou encore celui-ci, écrit par un auteur qu'on n'attendait pas dans ce registre...), un lieu-dit Enthousiasme (dans l'élan originel vers un style et/ou un projet, puis à chaque étape du processus éditorial, mené avec application), ainsi qu'une rivière baptisée Fidélité (à une poignée d'auteurs mécontemporains comme au désir d'indépendance initial).
     Alors que la maison publie ces jours-ci un bref récit joliment illustré de Nick Tosches, son directeur fait étape un instant Chez Pierrot, modeste routier fréquenté par une poignée d'adorateurs de JLM jamais rassasiés, histoire de nous narrer ses pérégrinations éditoriales, ses allers-retours en terres muratiennes ou ses flâneries entre musique et littérature.

Inter-ViOUS ET MURAT N°17 : BENOIT LAUDIER

- Bonjour Benoît. Pour commencer, pouvez-vous retracer en quelques mots votre trajectoire professionnelle ?

- Si vous souhaitez quelques faits "marquants", cette "trajectoire" s'inscrit surtout entre l'édition et le journalisme (reporter, secrétaire de rédaction, rédacteur en chef de Chronic'art de 1997 à 2001), des éditions Gallimard à Larousse, des Inrocks au Figaro magazine et à Mouvement.

- Vu de loin, Les Inrocks et Le Fig mag semblent deux journaux assez hermétiques l'un à l'autre au niveau idéologique. Un tel transfert est-il mieux admis lorsqu'on est journaliste culturel ? Et implique-t-il nécessairement un sévère virage à droite, politiquement parlant ?

- Aucunement en ce qui me concerne. En ce sens, je ne pense pas être un "animal" politique : on rencontre des femmes et des hommes qui proposent du travail – ou pas – et on est libre de l'accepter – ou pas. Somme toute, effectivement, dans le domaine "culturel", on n'est moins exposé et déterminé à commenter l'actualité politique...

- Votre rapport au politique passerait donc avant tout par l'esthétique... Vous pouvez nous en dire un mot ? Y a-t-il des figures dans la littérature ou l'histoire qui le résumeraient ?

- Oui, sans aucun doute pour ce qui nous concerne ici, le rock, la pop, etc. participent aussi de liens entre personnes vivant dans la cité, parfois très vivaces et "solidaires" en termes d’échanges ou via les "réseaux sociaux" : quoi de mieux que s’enthousiasmer pour un disque, par exemple, et le faire savoir à d’autres ? En ce sens je suis bien sûr "politisé", aimant retrouver certains lieux (salles de concert, bars, etc.). Qui ne le serait pas ? Pour l'esthétique, incontestablement des poètes comme Baudelaire, Ducasse, mais aussi des essayistes et écrivains comme Greil Marcus ou Nick Tosches développent dans leurs écrits une esthétique pas franchement désagréable... puisque allant à rebours des poncifs et même parfois provocante. Ces modèles sont toujours utiles.

- Comment êtes-vous devenu l'un des contributeurs du Dictionnaire du rock ? Et au cours de ce travail, quels sont les articles que vous avez pris le plus de plaisir à écrire, ceux dont vous êtes le plus fier ?

- C'est Michka Assayas qui me l'a demandé. Les articles ? David Bowie, Scott Walker, U2, des artistes et groupes africains, Aphex Twin et d'autres...

Inter-ViOUS ET MURAT N°17 : BENOIT LAUDIER

- Venons-en à Murat : était-ce un choix de votre part d'écrire l'article sur lui ou cela faisait-il partie des devoirs imposés dans le cadre d'un tel ouvrage et pour lesquels il faut bien que quelqu'un se dévoue (sur le mode : "Bon Yves, t'es puni, tu écriras la notice sur Manset. Et toi Benoît, te marre pas, parce que tu me feras celle sur Murat...") ?

- Oui, c'était un choix de ma part. Alors que je travaillais chez un disquaire (boulot d'été) à l'âge de seize ans et demi, j'avais passé l'un de ses disques sur la platine... et il a retenu mon attention. Je crois même avoir ramené le disque à la maison. Il fait partie des très rares auteurs-compositeurs contemporains français que j'ai écoutés, écoute encore (moins régulièrement) et écouterai sans doute encore. Et si j'aime aussi certaines choses chez Manset, il y avait incontestablement plus compétent que moi sur cet artiste pour l’écriture de l’article qui lui est consacré. [NDLR : rédigé au final par Yves Bigot]

- Donc, vous avez seize ans, on doit être grosso modo en 1986, vous travaillez chez un disquaire (lequel ? dans quel coin ?) et vous tombez sur un disque de JLM (lequel ? S'agissait-il de Passions privées ?) : que ressent l'adolescent que vous êtes, au milieu des 80's, en découvrant Murat ?

- Si ma mémoire ne me trahit pas (ni mes papiers d’identité), j'avais bien seize ans (et demi) l’été 86. Ce disquaire s'appelait Monsieur Cotte (est-ce la bonne orthographe ?) à Saint-Raphaël (Var). Oui : Passions privées. Ce que j'ai pu "ressentir"... Impossible précisément de le détailler : ce serait une usurpation d'identité que de me "rappeler" le jeune homme que j'ai été et ce que j'ai bien pu penser de cette première, même deuxième écoute... Mais oui, sans aucun doute, quelque chose m'a accroché : sa voix, les mots, leur organisation, le sens véhiculé par ses chansons...

- Quel était votre environnement culturel de l'époque ? Vers quatorze-quinze-seize ans, vous écoutiez, lisiez, regardiez quoi ?

- J'écoutais les Rolling Stones, les Stranglers, les Jam, mais aussi Prefab Sprout, les Smiths, les Housemartins, et beaucoup de jazz (Coltrane, Davis, Powell, Monk, etc.). Je lisais peu (il y avait quand même le programme scolaire), mais j'ai le souvenir (comme tout le monde) d'avoir été très impressionné par Les chants de Maldoror, Nerval, Baudelaire, les Trois contes de Flaubert, Villiers de l'Isle-Adam, et deux ou trois romans de Balzac, dont Le Cousin Pons et Les Illusions perdues. Rien de plus classique.

- Avant d'entamer cet entretien, vous me confiiez avoir "un peu perdu le fil concernant ses derniers disques". Pouvez-vous nous retracer les grandes phases de votre relation avec JLM ? Après la découverte (que l'on vient d'évoquer), jusqu'à quand continuez-vous à le suivre régulièrement ? Vers quelle(s) période(s) décrochez-vous et pourquoi ?

- Ah, il me semble que j'enchaîne avec Cheyenne autumn puis Le manteau... (qui me plaît moins), puis je "décroche" jusqu'à Mustango, puis Le Moujik..., puis "décroche" de nouveau ces dernières années, vers 2007-2008.

- Reprenons. Vous me dites que Le manteau de pluie vous plaît moins, mais cet album est l'un des deux qui sont cités comme références à la fin de votre article de 2014, l'autre étant Mustango. Je suppose donc que ce choix est celui d'Assayas...

- Je pense que c'est le cas... Ou alors, c'est parce que cet article ayant été écrit pour la première édition, sans doute vers 1998 ou 1999, j'ai tout simplement oublié de demander à Michka s'il pouvait changer de titre d'album comme "album référence".

- Mais ensuite, vous m'indiquez avoir décroché jusqu'à Mustango. Or, dans l'édition de 2001, vous écriviez que Dolorès (qui précède Mustango) était "sans doute son meilleur album à ce jour".

- Je n’ai pas le souvenir d’avoir écrit que Dolorès est "sans doute son meilleur album à ce jour". Ce dictionnaire, comme tout ouvrage collectif, fut légitimement relu et visé (et donc "corrigé-affiné") par Michka Assayas et d’autres personnes. Et c’est très bien ainsi.

- Qu'en est-il alors de Dolorès ? L'avez-vous aimé ? Sans bien vous connaître, j'ai tout de même tendance à penser que certains textes de cet album n'ont pu vous laisser insensible (par exemple, "Perce-neige" ou "Réversibilité", mise en musique du poème de Baudelaire).

- J'ai aimé, à l’époque, la reprise "Réversibilité" effectivement (mais plus pour l'interprétation que pour le "fond sonore"). Et aussi (mais j'étais je crois plutôt "amusé" par cette chanson, comme on peut l’être en écoutant de temps à autre un titre à la radio avec plaisir) "je vis dans la crasse, je suis dégueulasse, et alors je m'en fous..." [NDLR : "Fort Alamo"].

- Étant donné ce que vous nous avez dit sur votre éloignement depuis 2007-2008, je présume que le jugement sur les derniers albums qui clôt votre article ("parmi ses plus belles réussites depuis Mustango") vient d'Assayas. Et vous, rien, vraiment rien ? Votre décrochage est-il dû à un manque de temps ou a-t-il des raisons esthétiques ?

- Avant tout à un manque de temps et sans aucun doute aussi au fait de parcourir bien d'autres univers musicaux-esthétiques. Je veux dire par là qu'incontestablement :
1. Je n'ai pas écouté Grand Lièvre et Toboggan.
2. Le cours ordinaire des choses contient de belles choses (comme c'est souvent le cas pour nombre d'albums : on est vraiment retenu et on se replonge au fil du temps dans quelques titres, pas forcément tout l’album).
3. Vous me rappelez qu'entre Lilith et Le cours..., je me suis bel et bien "absenté". Je les ai écoutés, mais vraisemblablement pas avec la même attention que durant les deux-trois années qui ont précédé,
c’est incontestable.

- Je vais donc être un peu vicieux en vous posant deux questions sur deux disques de cette période. D'abord sur Mockba. Je crois qu'il y a une forme de consensus parmi les amateurs de Murat pour considérer que Mustango et Lilith représentent deux sommets de sa discographie. Les plus tordus d'entre nous s'amusent même à distinguer les Mustanguistes et les Lilithiens. Vous me semblez appartenir nettement au premier de ces deux groupes, puisque j'ai cru comprendre que vous trouviez Lilith un peu trop touffu. Mais le plus surprenant pour moi fut de lire que vous préfériez presque Mockba à Lilith. Comme cet album est souvent négligé, voire déprécié (notamment par ceux qui sont allergiques à Camille et/ou Carla Bruni), pouvez-vous vous arrêter un instant sur lui ?

- Vu comme cela, c'est bien le cas : je suis plus "mustanguien". Mais est-ce à dire/penser que je devrais réécouter avec plus d’attention Lilith ? Sans doute. Oui, je peux m'arrêter sur Mockba si vous le souhaitez : intimité qui lui sied bien / qualité du chant / arrangements souvent très dépouillés. Je dois être "sensible" à cette simplicité/évidence, la distinction par les mots, presque en retrait. Non, je n’ai pas d'allergie particulière à ces dames a priori, même pas d’allergie du tout déclarée à qui que ce soit (un médecin m’en aurait parlé, non ?). Et puis il y a beaucoup d’humour sur "Foulard rouge". Très bon cocktail musique/mots/provocation. J'en garde un bon souvenir.

- Puisque par deux fois déjà vous avez cité Baudelaire comme une lecture importante de votre adolescence, j'aimerais bien vous entendre sur Charles et Léo. Et, plus largement, sur une éventuelle parenté entre Baudelaire et JLM (maniement de la langue, dandysme, antimodernité, etc.).

- Quel adolescent n’a pas été retenu, ne serait-ce qu’un peu, par Baudelaire… Vous voulez dire un effet mimétique chez Murat ? Possible... "Parenté" ? Je ne vois pas : autre temps, autre mœurs, etc. En revanche il est rare, très rare, qu'un contemporain puisse adapter/chanter de tels auteurs, et Murat y arrive : ce n'est pas rien. C'est "dire" (mais à sa place ?) qu'il aime cette chose qui porte le nom de "langue" (française en l'occurrence). "L'examen de minuit", il fallait oser : ce type de récitatif, cet orgue... Idem des plus de dix-douze minutes de "Il est des nuits..." (pour Ferré). Il me semble qu’il n’y a pas grand-monde sur la place pour s’attaquer à cela sans (trop) tomber dans le ridicule.

"L'examen de minuit" : de la maquette (Ferré) à la scène (Murat)...

- Nous parlons là d'albums que vous m'avez dit avoir écoutés avec une moindre "attention". J'imagine qu'on ne réécoute pas toute la discographie d'un artiste avant d'écrire sur lui, qu'on fait confiance à sa mémoire et qu'on utilise ses acquis...

- Personnellement si : je pense m'être toujours astreint (sauf quelques cas de disques "rares" ou introuvables) pour ce Dictionnaire à "tout" écouter. Quasi tout en tout cas. Mais je dois aussi avoir des enthousiasmes réfrénés par la suite, comme il m’arrive de réévaluer d’autres choses.

- Et je présume que la recherche du bon équilibre entre subjectivité et objectivité peut parfois vous amener à écrire qu'un disque est remarquable, même si vous n'y êtes pas très attaché personnellement, non ?

- Non, ça ne m'est jamais arrivé. En revanche, j’ai pu me demander plus d’une fois, rétrospectivement, pourquoi j'ai aimé telle chose (je veux dire vraiment) à un moment et plus vraiment le même titre ou album des mois ou des années après, ce qui doit être aussi le cas pour quelques-uns d’entre nous tout de même.

- Je vous posais cette question en raison de vos écrits passés sur Dolorès. "ces douze petites chroniques cinglantes et éphémères, traversées de fulgurances poétiques, constituent sans doute son meilleur album à ce jour", notiez-vous en 2001... À vous lire aujourd'hui, j'ai le sentiment que non seulement vous vous demandez pourquoi vous avez aimé ce disque à ce point, mais que vous ne vous souvenez même plus l'avoir autant apprécié. C'est amusant – mais il est vrai que l'on parle d'un album paru il y a près de vingt ans. Est-ce que ce genre d'étonnement rétrospectif sur soi et ses propres goûts arrive à tout le monde, comme vous le suggérez ? Oui, sans doute... Plus ou moins... Votre question, au fond, c'est un peu "Que reste-t-il de nos amours ?" Ça ferait un bon sujet de chanson...

- C'est sans doute vrai (et bien vu de votre part). Mais il y aussi le fait que j'apprécie plus et donc "mémorise mieux" (et déjà à l'époque de leur sortie) des titres sur des albums comme Madame Deshoulières ou 1829. L'amour des mots ? Le défi que se lance sur ces disques JLM ? Oui : cela correspond plus à mes attentes et humeurs. Et j'aime sincèrement JLM pour cela : le bon mot à la bonne place et parfois/souvent une belle "humeur/trame" musicale (y compris en duo) suffisent à mes yeux à faire de lui quelqu'un tout de même d'assez singulier.

- Quoi ?! Vous aimez 1829 ?? Dans votre article, je lis pourtant : "1829 (2005), adaptation des poèmes de Béranger, gloire oubliée du XIXème siècle, est décevant." Il faut que vous m'expliquiez...

- Là, je suis formel : cette phrase n'est pas de moi ! Cela arrive…

- Dans ce cas, faisons simple et parlons de cet album. D'autant qu'au-delà de celui-ci, je crois remarquer que vous êtes souvent sensible à ces projets poétiques et parallèles sur lesquels Murat chante d'autres mots que les siens : Madame Deshoulières, Charles et Léo, 1829... C'est un hasard ou vous y voyez quelque chose de plus profond ?

- Vous avez raison : il est tout à fait vraisemblable que j'y voie quelque chose de "profond", JLM doit être un très bon lecteur et un amoureux de la langue française – contrairement à pas mal des "zèbres" qui inondent les ondes. Il est l'un des rares selon moi à tout de même se préoccuper du sens de ce qu'il chante. 1829 ? "fraîcheur" des textes (mon intérêt toujours vif pour des poètes tels que Corbières ou Laforgue par exemple – plus tardifs, c'est vrai), mélodies très dépouillées (simplissimes même), juste ce qu'il faut dans une voix qui ne porte pas, très en retrait. En somme, je l'ai toujours bien aimé dans ce type de registre : le récitatif.

- Tout à l'heure, vous disiez "parcourir bien d'autres univers musicaux-esthétiques". Je crois que vous aimez les voyages. Pouvez-vous nous dire un mot de la place qu'ils occupent dans votre vie ? Ces "autres univers musicaux-esthétiques" que vous arpentez sont-ils liés à vos vagabondages ?

- Cela m'est arrivé, oui, de "partir" de ce territoire : quoi de plus normal quand on travaille pour partie comme journaliste-reporter plus de quinze ans ? Et c'est toujours le cas, quand cela m'est possible – certes : je ne reste jamais douze mois d'affilée en France. En fait j'ai notamment eu l'occasion d’effectuer des reportages dans des pays africains (Mauritanie, Niger, Mali), au Maroc, ou en Asie (Japon, Vietnam, Cambodge), Madagascar plus récemment... Et ce fut l'occasion (ces voyages laissant un peu de "temps libre") de connaître des lieux, d’entendre des musiciens/groupes, etc. Ils participent d'une culture universelle mais ont souvent, du fait de leur propre culture, des pratiques plus directes, voire enthousiastes du chant et de la musique, plus ancrées dans le quotidien en tout cas et se passant de tout "commentaire" : on joue, on chante parce que cela est en lien direct avec la vie, une de ses composantes. Et puis il est souvent remarquable d'entendre/voir un tel degré de technicité chez la plupart, y compris les plus jeunes, comme si la musique était inscrite en eux dès le plus jeune âge, corps et âme.

- Avez-vous un souvenir qui vous vient à l'esprit, là, spontanément, d'un moment de découverte musicale qui vous aurait particulièrement marqué lors d'un de ces voyages : un lieu, une atmosphère, un groupe... Histoire d'avoir un petit instantané...

- Un souvenir ? En bas de la crête du pays dogon, d'où je revenais, avant qu'ils ne partent pour un festival itinérant couvrant plusieurs pays, la découverte de Tinariwen. Au Cambodge, un joueur de vielle dont j'ai oublié le nom, dans un bar de Sihanoukville : avec son seul instrument (et un peu de voix) il sonnait comme un orchestre à lui seul !

- Rapprochons-nous de votre activité d'éditeur en évoquant vos travaux pour d'autres maisons, sans perdre le lien avec Murat. À la fin des années 90, vous avez contribué pour Larousse à la conception d'une anthologie de poésie populaire française. Dans la partie consacrée à la poésie d'après 1945, on trouve sans surprise des pièces de Char, Prévert, Aragon ou Jaccottet, mais aussi des textes de chansons : deux de Gainsbourg, un de Brel, un de Ferré et... un de Murat, "L'ange déchu". On aurait pu s'attendre à trouver, du côté des classiques, Brassens ou Barbara, du côté des plus modernes, Roda-Gil, Bergman ou Manset. Mais non, Murat. Étonnant, non ?

- Cela a été le cas, en termes de propositions : Brassens sûr, Manset sûr, Barbara et Ferré sûr... Mais la pagination du livre, la décision du directeur de collection (on enlève quelque chose ; on rajoute autre chose) en ont décidé autrement. Et je n'étais pas là pour le "final cut" – mon travail ayant été terminé avant.

Inter-ViOUS ET MURAT N°17 : BENOIT LAUDIER

- Maintenant que vous êtes éditeur à part entière, que vous publiez de la littérature, vous semble-t-il toujours que Murat puisse être qualifié de poète ?

- Il me semble que la meilleure réponse à cette question est toujours celle de Bob Dylan : non, les auteurs-compositeurs ne sont pas à proprement parler des poètes – c'est un ensemble musique/paroles qui fait que, parfois, des éléments poétiques se dégagent, ou que l'on peut (mais trop vite ?) assimiler un texte à un poème. Maintenant, dans de très rares cas, ces frontières n’étant pas vraiment hermétiques... il est vraisemblable que quelques textes "tiennent tout seul" et qu’on puisse les considérer comme des poèmes à part entière. À chacun d’en décider.

- Toujours pour Larousse, vous avez participé à un dictionnaire de la contestation intitulé Le siècle rebelle. Ce qui m'inspire cette question bête : à vos yeux, Murat peut-il être qualifié de rebelle ?

- À mon sens, non. Mais c'est à lui qu'il faudrait poser la question. C'est quelqu'un de beaucoup plus simple et direct que cela, il me semble, et peu sensible aux dogmes et aux idéologies.

- Vous qui saluez dans cet ouvrage l'indépendance d'esprit d'un Dominique de Roux, que pensez-vous du Murat médiatique : celui qui critique politiciens et journalistes, qui égratigne régulièrement ses collègues de travail et les maisons de disques, qui n'hésite pas à provoquer et à aller contre l'air du temps, au risque du dérapage ? Au-delà de telle ou telle déclaration ponctuelle qui fait le buzz sur le net – et fait fuir dans le même temps une partie de son public potentiel –, quel regard portez-vous sur sa manière, cette façon d'ériger la contradiction/provocation en geste esthético-politique ?

- Je ne connais que trop peu le "Murat médiatique". J'ai ceci dit le souvenir d'une "sortie" de sa part sur l'amateurisme de sa "profession" qui m'avait fait jubiler [NDLR : cf notamment dans Magic] Il a mille fois raisons : trop d'amateurs, partout, quel que soit le métier. Vous m'écrivez "cette façon d'ériger la contradiction/provocation en geste esthético-politique", mais je ne sais pas s'il n'est pas tout simplement comme il aime être, instinctif avec les mots qui lui viennent (et donc parfois les énervements), et non quelqu'un qui "érige" quoi que ce soit... Là aussi, je crois que lui seul peut répondre.

Inter-ViOUS ET MURAT N°17 : BENOIT LAUDIER

- Oui, vous êtes sans doute dans le vrai. Les fans ont parfois la mauvaise habitude de s'exprimer à la place de l'artiste qu'ils chérissent... Prenons un peu de recul en parlant de Vagabonde. Comment naît cette maison ?

- Vagabonde publie un premier livre en 2002, puis un autre en 2003. Elle naît de manière assez fortuite, comme ça, et parce que à peu près tout le monde dans notre entourage nous disait de ne pas faire d'édition.

- "Comme ça" ? Vraiment ?

- Oui, car nous ne savions pas forcément comment faire (au mieux), sans trop de moyens ni de "livres à venir", et si d'autres projets pourraient voir le jour : mais finalement tout s'est bien enchaîné, et assez vite.

- Interrogé en 2010 par Le Matricule des Anges, vous reveniez sur vos premiers élans éditoriaux en déclarant : "À ce jour, je n'ai pas trouvé d'explication à mon geste." Quatre ans plus tard, avez-vous enfin trouvé ? Et quel regard portez-vous sur cette dimension quasiment inconsciente de votre travail d'éditeur – ici presque pulsionnelle ?

- Non, au risque de vous décevoir, je n’ai toujours pas compris ce qui a pu me traverser l’esprit (et je n’y pense jamais – maintenant, c’est là !) pour ce qui est du "allons-y !". Ce n'est pas faux : pour nous, en tout cas pour moi, il doit y avoir un rapport plutôt physique à ce qu'écrivent les auteurs... D'où sans doute cette construction "aléatoire" du catalogue.

- Pouvez-vous nous décrire dans les grandes lignes votre travail d'éditeur depuis le choix d'un texte jusqu'à son lancement dans le public. En gros, le boulot quotidien d'un "petit" éditeur qui a les mains dans le cambouis, ça ressemble à quoi ?

- Le boulot : des personnes écrivent, vous les lisez, vous leur posez des questions, ils se corrigent ou pas eux-mêmes, et on décide ou pas de les publier, alors on décide de travailler ensemble : questions-réponses, questions-réponses… pour mener le texte à son maximum d'intensité, puis on coordonne tout l'aspect technique, plus la partie administrative, etc, etc, etc. Comme toute maison d’édition.

- Et dans le cas des retraductions, est-ce vous et vos associés qui passez commande, parce que vous estimez que tel texte important a été mal traduit par exemple, ou bien des traducteurs insatisfaits vous sollicitent-ils ?

- Je ne peux vous parler que de ce qui est "arrivé". Pour Büchner par exemple, mon frère [NDLR: le comédien et metteur en scène Stéphane Laudier] travaillait avec Claude Régy et un week end, Régy a demandé à son ami Goldschmidt de lui retraduire Lenz pour un atelier avec des élèves comédiens. Mon frère a lu cette version, me l'a transmise et j'ai pris contact avec Goldschmidt. Pour Cavalcanti, c'est Vagabonde qui l'a proposé à Danièle Robert, suite à un certain nombre de lectures annexes et consécutivement, cette interrogation : cette œuvre immense n'a toujours pas été traduite comme il se doit (en rimes !) en France. Alors, faisons-le !

- Pour présenter Vagabonde, vous vous êtes souvent référés à cette phrase : "tous les siècles sont contemporains" (ou à une formule voisine de Pound, "toutes les époques sont contemporaines"). De fait, vous publiez aussi bien des auteurs (biologiquement) vivants que des écrivains (biologiquement) morts, parfois depuis des siècles. Au-delà de la formule qui sonne bien, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette vision, paradoxale au premier abord, du "contemporain" ?

- Les "contemporains" ? Finalement assez peu de choses "contemporaines" me plaisent – c’est comme ça –, surtout en langue française (c’est vous dire aussi mon degré d’ignorance). Comme la "formule" le dit (nous l’espérons) : Cavalcanti est plus contemporain, lisible et stimulant que beaucoup de nos "contemporains" : c'est notre sentiment en tout cas. Ce qui n’empêche pas (bis) la publication de contemporains... C’est même plus de la moitié de notre catalogue jusqu’à présent...

- Il vous arrive de vous sentir plus d'affinités avec un écrivain du Moyen Âge qu'avec des auteurs actuels, je comprends. Mais il me semble que cette phrase implique aussi l'idée que l'on n'écrit pas nécessairement pour son époque, qu'un texte peut ne trouver ses destinataires que bien après sa date de parution. Je pense à ce propos de Murat : "les mots ne crachent pas tout leur sens dans l'époque où ils se meuvent." Ça vous parle ?

- Oui : il me semble aussi que quand un livre est vraiment "bon", donc stimulant et novateur, il peut sans trop de difficultés traverser les âges (faute d’écoute lorsqu’ils paraissent pour certains ?), et même parfois les frontières. Sur le fait qu’il ne soit pas (ou pas suffisamment) entendu à son époque, seuls les lecteurs en décident.

- Avant de devenir vous-même pleinement éditeur, vous aviez décrit l'édition comme une "corporation généralement satisfaite d'elle-même". Vous confirmez ? Et de votre côté, vous êtes satisfait du travail effectué par Vagabonde jusqu'ici ?

- Oui, je confirme... et à la fois c’est moins vrai de nos jours, du fait des difficultés rencontrées par nombre d’entre eux. Ont-ils pour autant regagné un peu plus d'humilité, allez savoir. Si nous sommes "éditeurs" chez Vagabonde, comme beaucoup d’autres amis ou personnes faisant ce métier, c'est que nous avons choisi d'être indépendants et d'assumer pleinement nos choix. Il s’agit d’un métier, pas d’une fonction.

- Vos choix, justement, parlons-en. Y a-t-il un ou deux auteurs de votre catalogue qu'à titre personnel vous aimeriez mettre en avant et éventuellement faire découvrir aux lecteurs du blog ?

- Sans aucun doute Carl Watson, Laszlo Krasznahorkai et Pierre Lafargue. Trois contemporains férocement talentueux et stimulants. Et comme ils savent écrire…

Inter-ViOUS ET MURAT N°17 : BENOIT LAUDIER

- À présent, la question traditionnelle de ces entretiens autour de JLM. Elle est double, basique, mais parfois difficile pour celui qui doit répondre : quel est votre album préféré de Murat ? Et quelles sont vos trois chansons préférées ?

- Album : Mustango. Chansons : "Fort Alamo", "L’almanach amoureux", "Nu dans la crevasse".

- Pour finir, si vous avez eu du mal à vous replacer dans la peau de l'adolescent que vous étiez en 1986, au moment de la découverte de Passions privées, j'espère que vous en aurez moins dans un exercice comparable, mais inverse. Cette fois, nous sommes en 2030 et Michka Assayas a décidé de s'atteler à une troisième édition de son encyclopédie. Il vous a demandé de vous y coller, vous avez hésité, parce que depuis le double rachat par Vagabonde de Gallimard et Grasset, vous êtes très occupé, mais comme Assayas est votre ami depuis quarante ans, vous avez fini par vous laisser convaincre. Vous voici donc parti pour rédiger la notice sur Murat. Pouvez-vous, en exclusivité pour le blog, nous résumer à gros traits ce que vous allez écrire sur les quinze dernières années de sa carrière, entre 2014 et 2030 ? Trouvez-vous que la musique de Murat ait bien vieilli ?

- À condition que JLM ne joue que du jazz et devienne pianiste ! Quelque chose comme ça ? "En s’attelant depuis près de vingt ans à la reprise des plus grands thèmes du jazz du siècle passé, JLM, laissant de plus en plus la part belle aux silences entre deux notes, confirme son statut de classique indémodable : soit la 'grâce efficace'."

*****

     Cet entretien fut réalisé par mail durant l'été 2014 (plus une partie de l'automne 2030 pour la question finale), puis relu et validé par la victime (et son tortionnaire).
     Un très grand merci à Benoît Laudier pour sa disponibilité, son endurance et sa participation active à ces séances bihebdomadaires d'anamnèse sauvage, malgré un emploi du temps très chargé.
     Vagabonde a publié le 7 novembre La première cigarette de Johnny de Nick Tosches, en édition bilingue illustrée par Lise-Marie Moyen (traduction de Héloïse Esquié ; 64 pages ; 14 euros). Pour plus d'informations sur ce livre comme sur le reste du catalogue de l'éditeur, vous êtes invités à voyager sur son site : www.vagabonde.net, ainsi qu'à aller vagabonder sur sa toute jeune page Facebook pour commenter, liker, faire ami-ami et plus si affinités. Les amateurs d'illustrations et curieux de toutes obédiences se rendront également sur le blog de
Lise-Marie Moyen : http://lise-mariemoyen.blogspot.fr/

     Un salut chaleureux au Matricule des Anges et en particulier à Pascal Jourdana, auteur dans le numéro 113 (mai 2010) d'un excellent entretien avec Benoît Laudier qui nous fut d'une aide précieuse pour la préparation du nôtre (la citation de l'introduction en est issue).
     Enfin, un merci spécial à celui qui, en jardinier bienveillant, me laisse semer mes graines ici et là sur son blog, à la manière de ces plantes vagabondes chères à Laudier, j'ai nommé mon éditeur à moi, Pierrot, sans qui rien (me concernant) ne serait possible – ni même envisagé.
   

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Rédigé par M

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 26 Octobre 2014

 

Retrouvez une interview très intéressante sur le photographe Frank Loriou qui a souvent travaillé avec Murat. Il nous délivre des infos intéressantes sur deux clichés fameux de l'auvergnat:

 

à lire ici http://htl.li/DdABs

 

extraits:

Sur la pochette de Toboggan de Jean Louis Murat par exemple, le vélo lui appartient, c’est une route à coté de chez lui, cette photo reflète un moment de vérité : je passais quelques jours chez lui, je l’ai vu sur son vélo.

 

Certaines sessions avec Jean Louis Murat ont été très belles. Je lui avais apporté mon livre, ça lui a donné envie de rouvrir la maison d’un de ses voisins, une personne très importante pour lui. Il avait racheté cette maison, sans doute dans la volonté de rester « maitre » de cet endroit, de la mémoire de cette personne. Je l’ai vu rouvrir les volets, je l’ai fait asseoir dans la cuisine. Il regardait par la fenêtre, il se passait quelque chose de très très fort. Il me dit « Ça fait 30 ans que je m’assois à cette place, lui à celle-ci, et c’est la première fois que je pose mon regard sur ce qu’il voit par la fenêtre». À la fin du shooting, je lui dis « Il y a un morceau de toi qui m’a particulièrement marqué Accueille-moi paysage », il me répond « C’est étrange, c’est le morceau que j’avais écrit pour ce voisin 2 jours après son décès ». Dans ces moments là, tu as vraiment l’impression de vivre un moment de grâce, de faire quelque chose qui t’échappe complètement.

Retrouvez la photo (pris chez Emile)  dont il parle sur l'article en suivant le lien ci-dessus.

 

L'interview est très bien, et c'est celle dont je rêvais... et qui avait été débutée... Voici donc cette "inter-ViOUS ET MURAT" interrompue  à Mustango (4 questions):

 

 

1) Pour Murat, j’ai retrouvé votre nom pour la pochette de Mustango, celles du maxi CD Polly Jean, de Muragostang… et la série de photos de 2011… Est-ce que c’est bien exhaustif ?
Si oui, pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette pochette qui me parait bien représentative de votre style… ou bien des « codes » imposés par les maisons de disque ?

Oui j'ai rencontré jean louis il y a bien des années maintenant, pour la pochette du Mustango sur laquelle Virgin France m'avait demandé de travailler.

j'ai effectivement fait la création des maxis qui ont suivi, polly jean, le mont sans soucis, et le sublime live Muragostang, et le live in Dolorès à partir d'une création et de photos de paul ritter. Mais je n'ai jamais photographié murat à l'époque.

 

Je ne crois pas que cette pochette corresponde à des codes imposés par la maison de disque. au contraire nous sommes allés chercher très loin des pistes graphiques très originales, notamment autour du royaume du mustang, une région fascinante située au nord est du Népal, et qui fut longtemps interdite aux étrangers. Finalement à force d'épure nous nous sommes concentrés sur cet autoportrait de Murat extrêmement simple et brut, comme j'aime. C'est jean-louis qui a trouvé la typo de la pochette, et j'aime particulièrement l'image à l'intérieur où il se roule dans la neige. Et cet album qui est magnifique.

 

 

 

2) Je m'en rends compte que je suis collectionneur de LORIOU (cf photos)... Je suis un peu étonné sur cette référence au Royaume de Mustang... En reste-t-il vraiment
des traces?

Les voies par lesquelles passe la création d'une pochette de disque sont parfois impénétrables ;-)

 

 

3) C'est effectivement la typo qui est très particulière sur cet ensemble, à la limite de la lisibilité dans le livret d'ailleurs... Est-ce elle qui fait l'unité de l'ensemble ou y a-t-il
d'autres éléments?

 

L'équilibre de cette pochette comme de beaucoup d'autres repose sur la rencontre entre des images et des codes typographiques forts, c'est l'alchimie plus ou moins
réussie qui fait l'unité de l'ensemble, ou pa
s

 

 

4) Je parlais de codes (l'artiste en plan rapproché avec le nom à côté) mais tu parles toi plus de "tradition" dans l'interview à pop news.... Cela correspond tout de même
à des impératifs de marketing? (notamment qui expliquerait un peu l'alternance quasi-parfaite chez Murat entre les pochettes où il apparait, et celles "illustratives").

 

Les choix ne sont pas forcément raisonnés en terme de marketing, surtout chez jean-louis murat qui travaille bien plus à l'instinct et en fonction de son inspiration que sur des critères de commercialisation. La pochette Mustango est réalisée à partir d'un autoportrait, comme d'autres depuis ; certaines ont été réalisées à partir de dessins, de photographies mêlées à du graphisme. je crois que pour chacune l'approche a été très libre et correspond plutôt à une recherche de cohérence avec les sources d'inspirations de JLM au moment de la composition.

 

 

Frank Loriou, secrets d'instantanés

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #divers- liens-autres, #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 7 Juillet 2014

Voilà enfin la 3e partie de l'interview de Jérôme PIETRI  centrée sur son dernier album.  Murat reste présent... avec une anecdote... et  via le blues... dont Jérôme, comme Murat, parle si bien.  
Dans la  première partie "Jérôme Pietri, 64 ans, édudiant", il  était question de  son parcours, notamment dans SOS, groupe culte auvergnat (à lire ici). La deuxième nous plongeait dans son travail et ses relations avec Jean-Louis Murat, si bien que je lui ai accordé le label "inter-ViOUS ET MURAT" ("comme un loup sur la voie lactée", à lire là). 

Un grand merci à lui et à Matthieu, l'intervieweur.
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JP3 Coope

 


Priez pour nous, pauvres pêcheurs

 

     C'est sur le son d'une batterie pesante et grave que s'ouvre Gone Fishin', avant qu'une voix hargneuse n'entame un hymne individualiste, claironnant son mépris de l'argent-roi. Une quarantaine de minutes plus tard, le disque s'achève dans le dépouillement d'un morceau joué à la guitare National, peinture d'un monde au devenir incertain, moins « global » que « létal ». De pêche, il ne sera donc question sur cet album que dans le titre et la pochette. Pour le reste, son contenu consisterait plutôt en une énumération amère des raisons de s'en aller. Pêcher, justement. John D. VOELKER, Testament d'un pêcheur à la mouche: « Je pêche parce que, dans un monde où les hommes semblent pour la plupart passer leur vie à faire des choses qu’ils détestent, la pêche est pour moi à la fois une inépuisable source de joie et un petit acte de rébellion ; parce que les truites ne mentent ni ne trichent et qu’elles ne se laissent pas acheter ni corrompre ni impressionner par une quelconque démonstration de pouvoir : on ne les gagne qu’à force de qutude, dhumilité et de patience infinie ». La corruption, le mensonge surtout, ceux des politiciens comme ceux des médias, font en effet partie des thèmes de l'album. Ils accompagnent, dans la liste des maux qui donnent au chanteur l'envie de sortir sa canne – ou son fusil, selon l'humeur –, le triomphe de la finance, la marche folle de la mondialisation, l'épuisement professionnel ou les ravages de la pollution. Cette dernière thématique – écologiste – trouve à s'exprimer sur « Like A Chained Dog », belle réussite dans un registre mélancoolique qui reste minoritaire sur un album par ailleurs pêchu et composé d'une bonne moitié de titres entraînants, aux refrains accrocheurs, aux riffs joueurs, produisant un blues-rock bousculé par l'usage des fameuses « home made guitars » que Pietri manie en maître. De cette série de tubes potentiels, on retiendra notamment « The Trader », chanson âpre et mordante, autoportrait d'un roi de la finance au cynisme parfaitement assumé. D'une simple rime – « Cos' it's all for business / Yes I confess » –, le tandem Bourdier/Pietri nous rappelle qu'historiquement, la confession a toujours été liée à l'économie – que l'on songe à la notion de « rachat » des péchés ou à la pratique des indulgences –, mais nous renvoie simultanément à l'actualité la plus brûlante, celle d'un Cahuzac piteux venant révéler sur une chaîne d'information continue sa « part d'ombre », étrange métaphore pour un compte en Suisse... Ce serait donc précisément pour échapper à ce genre d'ombre que Pietri s'en irait, bleus à l'âme et cœur turquoise, taquiner d'autres ombres, à écailles celles-ci. Avant de le laisser go fishin' sur la Dordogne, l'Allier ou, beaucoup plus au nord, sur la Suir (en photo au dos du livret), écoutons-le une dernière fois évoquer pour   www.surjeanlouismurat.com son travail sur ce nouveau disque...

 
JP3 Pochette

 

Si Pietri est avant tout connu et reconnu comme instrumentiste, cela ne signifie pas que Gone Fishin' soit un album de guitariste.

 

Je me suis attaché aux chansons d'abord et c'est la première fois que je m'implique dans l'écriture des textes. Moi, c'était la voix et une guitare. J'écoutais – avec un truc vraiment hyper dépouillé – et il fallait que ça le fasse. Après, le reste, comme je commence à avoir un peu de métier, en toute modestie, j'imaginais « les fleurs au balcon » que je pourrais mettre. Mais il fallait d'abord avoir les fondations. J'ai pas chiadé des solos de guitare, à mon grand désespoir, la plupart des solos qu'il y a sur l'album sont improvisés. J'ai tout fait en 4 jours à Utrecht, donc les chiens ont pas pissé sur les cordes de guitare.

 

Dans la promotion du disque, le musicien met en avant ses instruments faits maison, des guitares bidons. Mais au-delà du côté pittoresque, ce choix semble correspondre à une vraie recherche esthétique.

 

J'ai utilisé beaucoup de  guitares bidons, des trucs dépouillés sur lesquels j'ai flashé y a 4-5 ans. Donc, comme je me retrouvais avec des instruments sommaires sur lesquels il y avait que deux notes et trois sons, au lieu d'utiliser les gros clichés du blues, j'ai cherché des doigtés et c'est difficile, parce que que de notes ! Alors j'ai passé vachement de temps, mais l'intérêt, c'est qu'à la sortie, ce que j'ai trouvé, ça sonnait différemment et qu'il y avait une couleur, c'est ce qui m'intéressait. J'ai toujours l'incorrigible prétention de vouloir faire de la musique, ça j'y peux rien, je changerai jamais.
 

 JP3 Guitare bidon


L'album peut se ranger dans la catégorie blues-rock. Une étiquette à la fois large et floue, qui recouvre ici une démarche cohérente.

 

J'adore le blues des années 30, ça me met les poils ce style-là. Avec les bidons, j'ai essayé de garder ce blues des années 30-40, mais avec plus le « versant africain », où y a qu'un seul accord, même pas les trois, avec des gens que j'ai découverts comme Junior Kimbrough, R. L. Burnside, John Lee Hooker (le plus connu), qui jouent même pas les trois accords, ils restent sur le un, parce qu'ils sont plus près de l'Afrique. Et ça dégage une espèce de magie, je trouve pas les mots, une espèce de transe hypnotique, je trouve qu'il y a un groove et un climat terribles. Et alors après, ça c'est mon vécu, j'ai incorporé à ce truc-là des riffs rock n' roll, qui viennent du blues d'ailleurs – y a plein de riffs dans le blues –, et des mélodies, parce que j'aime les mélodies et qu'il me semble que pour qu'il y ait une bonne chanson, il faut qu'il y ait une bonne mélodie. Et dans ce style parfois, certains trucs, c'est un peu monocorde et si y a pas une mélodie ou un truc qui se passe, ça peut engendrer une certaine lassitude à force. Alors que moi, j'adore qu'il se passe des choses. Le blues, pour moi, ça doit être basé sur les nuances, si y a pas de nuances, c'est pas du blues. Ça doit pouvoir être très fort, plein la gueule, ça doit te coller contre le mur et pas fort du tout. Et puis aussi, très rapide, très lent. Beaucoup de notes, peu de notes...

 

   

Pietri n'a cependant pas toujours été sensible à ce blues primitif qui, lorsqu'il l'a découvert dans sa jeunesse, dans la foulée des groupes de rock qui s'y référaient, lui semblait sonner faux...

   

 

Bizarrement, j'aimais pas les vieux bluesmen noirs à l'époque. Je ne sais pas pourquoi, quand c'est faux, je ne supporte pas, même de très peu, quand c'est faux et pas en place, ça me procure une douleur quasiment physique qui me donne envie de me barrer, comme la craie au tableau. J'ai réécouté, mais des années après, peut-être 20 ans plus tard, où j'étais arrivé, grâce à Murat certainement un peu, à passer le cap du guitariste. Et donc, j'ai réécouté en essayant de faire abstraction des petites imperfections guitaristiques et évidemment, j'ai été séduit par tout le reste qui était le plus important. Aujourd'hui, comme j'ai essayé de travailler tous les styles de blues – je dis bien « essayé » – celui qui me touche le plus émotionnellement, c'est celui des années 30, années 30-40, parce que c'était l'époque la plus dure qu'ils aient vécue – je parle des plus anciens témoignages discographiques qu'on puisse avoir, avant ça devait être encore pire. Leur vie ne tenait qu'à un fil, ils avaient des vies abominables. On voit bien que la vie la plus tragique du plus emblématique de nos pop-stars du rock n' roll, c'est un roman à l'eau de rose à côté, c'est de la rigolade.

 
JP3 Influences

 

Interpréter ce style, pratiqué à l'origine par des musiciens qui étaient tous d'excellents chanteurs, exige une implication vocale qui n'a rien d'évident pour quelqu'un qui s'est mis à chanter sur le tard. Mais il faut reconnaître que Pietri a progressé dans ce domaine : son chant, plus nuancé que sur son premier album, se fait ici tantôt hargneux, tantôt plaintif et presque fragile.

 

Je suis pas un grand chanteur, j'ai beaucoup progressé en 2 ans. J'ai beaucoup travaillé le chant, parce que j'ai chanté mes chansons tous les jours, en m'enregistrant, donc y a pas photo, ça fonctionne. Je l'ai fait pour la guitare et je vois pas pourquoi il aurait pu en être autrement pour la voix, sauf que c'est un boulot que j'avais jamais fait. Au baloche, des fois on me demandait de chanter des trucs, ça me faisait chier parce que j'étais très complexé par ma voix. Ça va beaucoup mieux maintenant, j'y prends du plaisir grâce au travail. Je m'éclate maintenant à chanter.

 

Qui dit chant dit textes. Cette partie est a priori celle qui, en tant qu'auditeur, touche le moins Pietri.

 

Bien que j'aie été en lettres, j'ai jamais été attiré par la littérature. Par la musique, oui. C'est la musique qui me fait bander. Je suis sensible à l'écriture quand je lis des choses bien écrites, je suis sensible au fond, à la forme certaines fois, mais vachement moins qu'à la musique. Je ne sais pas pourquoi, c'est la sensibilité de chaque être humain, on est tous différents. Donc moi, c'est vrai que c'est la musique qui me fait vibrer en premier, bien que je considère nullement que ce que tu racontes soit superflu.

 

Et en effet, les textes de Gone fishin', co-écrits avec Laurent Bourdier (organisateur du Buis Blues Festival, dont la prochaine édition aura lieu fin août en Limousin), ne sont ni bâclés, ni négligeables, loin s'en faut.

 

Bien que je chante en anglais, j'ai pas eu envie de chanter des gros clichetons à la con, comme c'est souvent le cas dans le blues. C'est la première fois que je signe des textes grâce à mon Lolo Bourdier du Buis Blues. On a co-écrit, j'ai trouvé la moitié des titres, « King-Kong on Cocaïne », « Little man », tout ça, et pas mal de refrains, parce que c'est vachement important pour avoir un truc cohérent de trouver en même temps les mots, la mélodie et l'harmonie, c'est ça qui fait les chansons les plus fortes.

 
JP3 Auteur-realisateur

 

À l'exception d'un titre sentimental, pas le meilleur du disque, ces textes sont, comme on l'a vu, très engagés et virulents. Entre chansons d'amour et chansons de révolte, Pietri a donc choisi son camp.

 

Les chansons d'amour, je déteste ça, parce que c'est d'une banalité affligeante. En plus, je trouve qu'il faut être complètement impudique. Moi, je peux pas, je peux pas parler de mes histoires d'amour, ça va pas non, y a que moi que ça regarde.

 

Et dans ce domaine aussi, on retrouve chez le musicien la volonté de pourfendre certaines idées reçues.

 

Le clicheton du blues le plus connu et rigolo, c'est « I woke up this morning, my baby was gone », alors je vais pas chanter ça. Les Français qui chantent ça en français, c'est à mourir de rire, c'est ridicule et pathétique. Y a une image, en France, du blues, qui est très réductrice et très péjorative, c'est un vieux Noir qui chante des truc tristes, chiants à mourir et ringards. C'est pas vrai ! Il faut pas oublier que B. B. King, qui sait à peu près de quoi il parle, s'est insurgé entre autres contre cette définition inexacte et puis stupide du blues et il a dit : « Il ne faut pas oublier que le blues, c'est aussi un cri de révolte et de colère contre l'injustice et l'oppression ». Donc moi, c'est cette définition que j'aime, les chansons d'amour, je m'en tape ! 

 

Révolte et colère, donc, contre un monde et une époque qui donnent au musicien... le blues.

 

Je suis vraiment horrifié par ce qu'est devenu le monde aujourd'hui, à tous les niveaux. Ça a dépassé mes cauchemars les plus fous, vraiment, sincèrement. Je me suis calmé avec l'âge, mais j'ai un côté où je suis révolté par des tas de choses que je vois. Quand je vois les grandes puissances financières de ce monde qui détruisent cette putain de planète en pleine connaissance de cause...

 

Au point de trouver des points communs entre l'époque des bluesmen du Delta et la nôtre...

 

À l'époque, la vie était très dure pour eux, ils étaient traités vraiment comme de la merde et la vie humaine n'avait pas d'importance. Bah je trouve qu'aujourd'hui, paradoxalement, en même temps que l'évolution de la technologie, y a eu une régression de l'humanité et un triomphe de la barbarie. Comme avait dit Philippe Val quand il était encore rédac' chef de Charlie, avant qu'il merde, il avait dit qu'on assistait impuissants à la marche triomphale de la barbarie économique.

 

La pêche apparaît alors comme une réaction de rejet de ce monde. D'où le titre de l'album.

 

Le « Gone Fishin' », c'est un peu « Fuck you ». À part  le rapport que j'ai avec la pêche, la mouche et le blues, qui sont plus qu'une façon de jouer et qu'une façon de pêcher, qui sont aussi des philosophies et des façons de concevoir la vie, avec pas mal de points communs, bah c'est un peu : « Je supporte plus ce monde, vous me faites chier, gone fishin' ». C'est ça l'histoire, sauf que c'est dit de façon plus gentille. C'est aussi une psychothérapie, ça m'évite de devenir fou. Quand j'y vais pas, je suis mal, ça me manque.

J'ai une chanson qui s'appelle « Fishing Day », mais j'ai pas eu le temps de l'enregistrer, j'étais pas content, mais ça va viendre, elle sera sur le prochain.

 

Le titre serait donc une sorte de bras d'honneur adressé à la société. Mais pas seulement. Il semblerait bien que pêche et musique entretiennent une réelle proximité.

 

Ce sont deux domaines qui t'apprennent l'humilité, la patience et le travail, parce que ce sont deux domaines dans lesquels tu dois posséder un minimum de technique pour t'exprimer et qui t'enseignent l'humilité, parce qu'un jour – mais ce ne sont pas malheureusement ces jours les plus fréquents –, un jour tu vas connaître une belle réussite et tu vas te dire : « Super, t'as bien réussi aujourd'hui, mon pote » et le lendemain, tu vas te ramasser la gueule, tu vas te dire : « Putain, mon pote, t'as encore du boulot ».

 
JP3 Jerome pecheur

 

La pêche, c'est aussi l'enfance, puisque Pietri l'a découverte pendant des vacances chez son grand-père, meunier au Trador (sur la commune de Laqueuille). Vers dix ans, comme la guitare.

 

Je fais pas clairement la différence entre les cannes et les guitares. J'ai toujours des bagnoles de merde, parce que je m'en fous, mais j'ai des belles cannes et des belles guitares. 

 

Mais sur ce sujet également, la colère l'emporte sur la nostalgie, au souvenir du ruisseau où, gamin, il pêchait des truites.

 

Quand j'y retourne, toute la nature a été détruite par ce putain de remembrement. Là, maintenant, ça ressemble à rien, la végétation qu'il y avait avant a disparu, faut aller beaucoup plus haut pour la retrouver. Et le ruisseau, c'est plus qu'une rigole polluée. Donc j'peux plus y aller, parce que j'ai envie de me bourrer la gueule jusqu'à ce que mort s'ensuive. Comme disait un mec, il aura suffi de trois générations d'ignorants avides pour détruire nos belles rivières intactes d'avant-guerre. Catastrophique...

 

Les préoccupations écologiques de certains textes ne sont donc pas de la part du chanteur une tentative d'appliquer le greenwashing au blues. Plutôt la conséquence d'un émerveillement initial. Accentué par la pêche, activité qui l'a obligé à ouvrir plus grand ses yeux.

 

Il a fallu que je découvre la faune et la flore des rivières, les invertébrés aquatiques et donc, j'ai halluciné quand j'ai découvert ça. D'ailleurs, Jean-Louis [Murat] se foutait de ma gueule, parce que quand on est partis en tournée, je découvrais ça et donc je regardais, chaque fois qu'on passait au-dessus d'un pont, il me disait : « Tu regardes si ça gobe ?» et je disais : « Eh oui ». Et quand j'ai découvert la vie qu'il pouvait y avoir dans 10 cm3 d'eau (non-polluée évidement, c'est rien de le dire), j'ai halluciné, ça m'a fait le même effet que si j'étais allé sur la planète Mars !

 

Et le chanteur de poursuivre sur une description détaillée de la vie de l'éphémère, depuis sa naissance jusqu'à sa mort...

De Laqueuille à Baltimore, la distance semble loin et l'on pourrait dès lors trouver surprenante la présence sur le disque d'une reprise de « Way Down In The Hole », morceau-générique de la série The Wire , dont il existe déjà plusieurs versions. Mais à y réfléchir à deux fois, le monde corrompu, fou et détraqué décrit sur Gone fishin' n'est pas si éloigné du Baltimore représenté par David Simon.

 

J'avais une dernière compo qu'on a jouée à la Coopé, qui s'appelle « Big Brother Boogie ». Je l'avais terminée, elle était faite, mais je voyais pas comment faire tourner ça tout seul. J'ai préféré la garder pour la faire avec les musiciens. Et je voulais qu'il y ait dix chansons, donc j'ai cherché ce cover, j'ai adoré cette putain de chanson. Je voulais faire un truc que je pouvais faire tourner tout seul. J'adore la chanson et la série, les deux. Finalement, j'ai fait une version entre celle de Steve Earle et celle de Tom Waits, en gros.

 

« Fishing day », « Big Brother Boogie », Pietri aurait donc des chansons en réserve.

 

J'ai de nouvelles chansons en train, j'en ai pas mal, j'en ai 5 ou 6 et cette fois-ci, je les ferai avec les potes musiciens, parce que j'ai envie et que ça commence à me manquer quand même. Et je retournerai enregistrer chez Erik Spanjers, parce que ça s'est tellement bien passé que là, je voudrais bien voir ce que ça donnerait en jouant en vrai, en live, avec des musiciens. Là, ça va chier des bulles. Et puis, on est très potes maintenant.

 

Et par quel moyen croyez-vous qu'un Hollandais et un Auvergnat, tous deux passionnés de blues, aient pu devenir amis ?

 

Je lui avais amené un Saint-Nectaire, il a adoré, il m'a dit « Ouaaaahhh... je vais t'amener du vieux Dutch !». Donc, les journées d'enregistrement, on s'amenait un casse-dalle au stud' (à part un soir où on a été dans un super resto, à la fin, pour fêter le truc), on casse-dallait, c'était boulot, boulot à fond. Y avait un petit coin cuisine dans son stud' et donc c'était fromage à fond. C'était Saint-nec' et vieux Dutch qu'il m'avait amené pour me faire goûter, on se faisait découvrir mutuellement nos produits laitiers, hollandais et auvergnats.

 

Saint-Nectaire... Gouda... What else ?

 

 

M.

 

 

     Gone Fishin' peut être acheté sur les sites de vente en ligne habituels. Le premier album de Jérôme Pietri, Little blues story, dont quelques extraits figurent sur soundcloud , est encore disponible.

On peut également suivre l'actualité de l'artiste sur sa page Facebook : jéromepietri blues

 

 

     Les trois parties de ce dossier consacré à Jérôme Pietri ont été réalisées à partir d'un long entretien qu'il nous a accordé le 2 mai 2014. Le contenu de cette conversation, monté et organisé par nos soins afin de le présenter sous sa forme définitive, a été enregistré sur un dictaphone posé en évidence sur la table, au vu et au su des personnes présentes. Ce qui est bien la moindre des choses, entre gens civilisés...

 

JP3 Dictaphone 3

 

Merci Matthieu.. et on se quitte par ton montage vidéo sur Jérome:

 

En rappelant les dates de concert de Jérôme Pietri:

12 JUILLET 2014 / CHARBONNIERE LES VIEILLES (63)

19 JUILLET 2014 / MONTLUCON (03)

31 JUILLET 2014 / Juke-Joint / LE VERNET (63)

07 AOUT 2014 / Juke-Joint / LE VERNET (63)

14 AOUT 2014 / Juke-Joint / LE VERNET (63)

20 AOUT 2014 / SAINT GENEST D’OLT (12)

 

 

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 15 Juin 2014

Voilà la deuxième partie de l'interview-fleuve de Jérôme Pietri par Matthieu. Dans l'épisode précédent, il était question notamment de son parcours musical, ses différents groupes, projets comme on dit maintenant. Vous pourrez lire tout ça ici et ( on  vous a dit). 

 Ce volet 2 remplit  parfaitement les critères de "l'inter-ViOUS ET MURAT", inter-ViOUS type historique, comme  celles de Christophe Pie,  de Stéphane Prin, l'ingénieur du son... et de Michel Zacha, producteur du LP "Murat", ce genre d'interview qui nous glisse dans les coulisses des créations de Jean-Louis Murat. Comme dans celle de Zacha,  nous nous retrouvons à une époque dans laquelle  Jean-Louis n'avait pas encore confiance en son jeu de guitare... 

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 COOPE 2014

Jérôme Pietri,
Comme un loup sous la voie lactée...


Il fut le guitariste de Passions privées, accompagna Jean-Louis Murat en tournée, joua pour Marie Audigier, côtoya Christophe Pie dans Too Bad et Denis Clavaizolle dans l'Hommage à Pink Floyd. Dès les années 1970, il suscitait l'admiration de ce même Denis Clavaizolle et celle d'Alain Bonnefont, tous deux fans de SOS. Autant dire que sans être un muratien du premier cercle, Jérôme Pietri a quelques souvenirs liés à JLM – dont certains qu'il a eu la gentillesse de bien vouloir partager avec www.surjeanlouismurat.com. Qu'il en soit sincèrement remercié.



- Pietri se souvient avoir brièvement fréquenté Murat à l'époque où, après avoir fui la fac de droit, il était allé tenter sa chance en lettres.


"On s'est croisés, on était en fac. Moi, j'avais entendu dire qu'il faisait des trucs à La Bourboule et tout ça. Mais cela dit, on se connaissait très peu. Après, on s'est pas vus pendant pratiquement dix ans".

- La véritable rencontre, humaine et artistique, a donc lieu pendant l'enregistrement du premier album de JLM.

"Le contact s'est fait juste avant Passions privées. Il m'a contacté ou m'a fait contacter par les copains, peut-être Alain Bonnefont, parce qu'il voulait produire son album. Il en avait déjà ras-le-bol des producteurs parisiens et il était arrivé à convaincre les mecs de sa maison de disques de le laisser produire – au sens producer – son prochain album".

- C'est donc Alain Bonnefont, ancien de Clara et bassiste sur ce nouveau projet, qui aurait servi d'intermédiaire.

"Moi, je connaissais Alain Bonnefont depuis très longtemps. J'aime beaucoup Alain, humainement je trouve que c'est un mec d'une gentillesse rare, quelqu'un que j'ai toujours apprécié, que j'apprécie toujours d'ailleurs – même si on se voit pas souvent, parce que c'est la vie, chacun suit son chemin".

Bonnefont


- Le projet intéresse d'emblée Pietri qui voit là une occasion d'élargir son horizon.


"Quand tu dois enregistrer un album pour un artiste qui a une vision déjà déterminée des choses, ce qui était son cas, c'est vachement bien de trouver quelqu'un qui sait ce qu'il veut. Il avait des opinions bien arrêtées qui différaient de celles du commun des mortels et pour pas mal de choses, ça m'a obligé à prendre le contre-pied de certaines idées que j'avais. J'ai trouvé ça vachement enrichissant et j'ai eu envie de faire cet effort. Il m'a semblé intéressant de pénétrer dans sa planète et de comprendre ce qu'il ressentait, ce qu'il voulait entendre lui".

- Pietri considère que JLM l'a amené à se recentrer sur les chansons, à voir plus loin que les seules parties de guitares.

"Jean-Louis a oublié d'être bête, c'est quelqu'un d'extrêmement cultivé et je pense qu'il a fait évoluer ma vision des choses, parce que si je l'avais pas rencontré, je pense que je serais resté... enfin peut-être, je ne sais pas, on ne sait jamais, c'est toujours difficile, mais je me dis que peut-être, j'aurais eu plus de chance d'être guitare, guitare, guitare. Quoique, finalement, je réfléchis, j'ai jamais fait de « masturbation de manche » [expression qu'il utilisait dans Une histoire du rock à Clermont, NDLR], j'ai toujours travaillé beaucoup, parce que je suis convaincu des vertus du travail. Jean-Louis aussi".

- Le goût du travail paraît effectivement rapprocher les deux hommes.

"Le travail, ça c'est un point commun, évidemment. Quand je l'ai rencontré, à l'époque, il avait déjà 800 chansons dans la musette. Pour enregistrer un album, il considérait qu'il fallait qu'il écrive 50 chansons. Il en gardait une dizaine, le reste, poubelle".

- Une production au-dessus de la moyenne facilitée par une certaine discipline de vie, dont Pietri se souvient bien.

"Il bossait comme un malade. Je sais qu'il se levait très tôt, surtout l'hiver, il se levait à 7 ou 6 du mat', parce qu'il se faisait chier l'hiver, et comme ça il prenait de l'avance pour pouvoir profiter un peu du beau temps et de la cambrousse l'été. Donc, il se levait à 6 du mat', il travaillait sur les textes jusqu'à midi-13h00, après il faisait un break une heure pour manger et l'après-midi, de 13h00-13h30 à 19h00-20h00, il bossait sur les textes".


Jerome et pochette



- Les deux musiciens partagent également une même conception de la fabrication d'une chanson.


"Dans sa façon de bosser, il considérait que les arrangements, ça venait en dernier. Je suis d'accord avec lui, parce qu'une bonne chanson, logiquement, elle doit se suffire à elle-même avec voix-guitare, voix-piano, ça doit le faire. Tout le reste, les arrangements – d'ailleurs, c'est une expression que je tiens de lui, il avait des mots comme ça, très poétiques, pour définir les choses – c'est « les fleurs au balcon ». Moi j'adore les fleurs au balcon, ça m'éclate toujours, mais c'est vrai que si y a pas les bases, ça sert à rien. À Riom, il aurait voulu avoir plus de temps, il disait « Ce que je veux, c'est qu'on ait des squelettes, mais des beaux squelettes. » Je suis toujours d'accord avec ça, le plus important c'est d'avoir des bons squelettes, le reste c'est de la branlette. Après, oui, tu habilles le squelette, mais si le squelette est pas bon, c'est mort. Tu peux prendre non seulement un très bon producteur, mais même d'excellents musiciens, si la chanson est mauvaise, si y a pas une bonne mélodie, avec une bonne harmonie – ça peut être très simple – et un truc qui groove, ça sera de la merde".

- De beaux squelettes que Pietri contribue ensuite à habiller. Ou à fleurir, c'est selon. Avec ses aiguilles, son sécateur, mais surtout sa guitare...

"J'étais qu'une seule guitare – il y avait Pascal Mikaelian qui faisait de l'harmo, ça accompagne pas trop – alors c'est vrai qu'à la guitare, quand on faisait tourner les trucs, je pouvais pas trop faire les fleurs au balcon, sinon il aurait manqué les bases, basse-batterie-guitare. Mais les fleurs au bacon, je les ai mises après. Je lui proposais des idées, je lui disais « Tiens, sur tel titre, je verrais bien ça. »

- Le travail en studio doit toutefois s'effectuer dans des limites de temps étroites, ce qui contraint parfois Pietri à puiser dans ses réserves.

"Les arrangements, on aurait eu plus de temps, ça aurait été génial. Moi, je me rappelle, comme il m'honorait de sa confiance en tant qu'instrumentiste, j'étais très touché et les deux semaines d'enregistrement chez Pathé, il m'honorait tellement que je me suis retrouvé avec toutes les parties de guitares à faire le dernier jour. Donc, j'ai fait pratiquement 24 heures de guitares non-stop".


Pietri repetitions


- Ce rythme soutenu n'empêche pourtant pas de travailler dans la bonne humeur.


"L'après-midi, on commençait à bosser vers 13-13h30 à peu près, puis après, jusqu'à minuit, 2-3 du mat', suivant les jours. Et la nuit, il bossait, je sais pas comment il faisait, il arrivait le lendemain et il avait dit « J'ai fait ci, j'ai fait ça ». Il avait une ou deux chansons, mais de base, squelette, avec un couplet, un refrain. Et donc, les après-midi, il était dans une cabine et on essayait tous les rythmes possibles et imaginables, binaires, ternaires et toutes les tonalités. C'était à pisser dans sa culotte, des fois on a hurlé de rire, on s'est roulés sous la console en chialant, parce qu'il était là, il avait un micro dehors, il disait « Do ! », alors on jouait par exemple un truc en do, on faisait tourner. Il faisait « OK, les mecs. Do # ! » et puis on monte en do #. Après, « Ré ! » et on passait les douze notes. Oui, pour voir comment ça sonnait. Parce qu'il y a une magie des tonalités aussi".

- Une manière de faire que Pietri n'a pas oublié dans son propre travail sur Gone fishin'.

"Les titres de l'album, je les ai tous passés dans toutes les tonalités, presque, à un poil près. Et les tempos – ça je l'avais vu avec Murat aussi".

- Les tempos ? Après l'importance d'avoir un bon squelette et celle des tonalités, on retrouve donc la fameuse règle muratienne dite des 3 T – tempo, tonalité, tructure – que Pietri paraît avoir faite sienne.

"Autre truc qu'on a partagé avec Murat, moi je suis persuadé : le tempo, c'est dé-ter-mi-nant ! À un poil près, à un, deux numéros près, c'est déterminant. Parce que ça change non seulement le groove, mais ça change le son. Bizarrement, ça ne sonne plus de la même façon".

- De la tournée qui suit Passions privées, Pietri ne semble conserver que de vagues souvenirs, évoquant néanmoins des « grosses dates ». Seul guitariste, ses possibilités d'improvisation sont limitées. « Si j'arrêtais, il restait basse-batterie. » Il se met alors à fantasmer la présence d'un clavier.

"C'est moi qui lui parlais de Denis, à l'époque de la première tournée, on le connaissait pas, je disais « Putain, ce serait d'enfer... » Moi, c'était très égoïste, je me disais « Si y avait Denis, je pourrais rigoler un peu plus, au lieu de me faire chier à faire tout le temps des pompes ou des arpèges. » J'avais trente balais, j'ai changé".

- Et de fait, Denis entre dans la carrière de Murat dès l'album suivant – Cheyenne Autumn – apportant ses machines avec lui.

"À mon avis, au niveau de la démarche, je pense qu'il a utilisé les machines parce que c'était tellement pratique, il a pas envie de se faire chier avec 12000 trucs, c'est quelqu'un qui aime l'efficacité, Jean-Louis. Il a pas envie d'enculer les mouches, il a envie de faire des chansons. Denis est un excellent musicien, qui maîtrisait très bien les machines, donc il aurait eu tort de s'en priver".

Photo HPF


- On retrouve Jérôme Pietri sur un titre de ce nouvel album, mais entre-temps, l'aventure El Diablo prend fin dans la douleur et Pietri envisage sérieusement de se reconvertir.

"Après El Diablo, je voulais plus entendre parler de blues, j'ai même failli arrêter la musique complètement. Parce qu'on n'était que 3, on s'entendait vachement bien musicalement, humainement, malgré tout ça, ça foire, j'ai dit « J'arrête tout, je laisse tomber, c'est pas la peine ». Et c'est Jean-Louis qui m'a dit « Arrête tes conneries, arrête de te regarder le nombril, tu te bouges le cul ». Sinon, je voulais faire de la lutherie. Murat m'a remonté les bretelles, m'a dit « Viens courir », il m'a amené courir, je lui suis redevable. La course, ça te remet d'aplomb mentalement. Parce que le moral dépend du physique, contrairement à ce qu'on pourrait supposer, et c'est vachement vrai, mais quand t'es jeune, t'en as pas conscience. Jean-Louis était un adepte du footing. On y allait avec Alain régulièrement".

- À peu près à la même époque, il joue donc de la guitare sur un titre de Cheyenne Autumn.

"Il m'a appelé pour faire de la slide sur « L'ange déchu ». J'en avais chié d'ailleurs, parce que je jouais pas beaucoup de slide à l'époque et jouer sur cette harmonie-là, c'était pas facile, donc je m'étais bien fait chier. Mais c'est pas du tout péjoratif, au contraire, j'aime bien me faire chier, parce que ça t'oblige à te dépasser et à découvrir des horizons que t'aurais pas découverts sinon. Il a gardé 3 gouzis à la fin, alors que j'avais joué sur tout le titre. Mais c'est un choix, là il a fait producer : c'est lui qui décide, c'est sa chanson, il produit, c'est lui le patron. C'est normal. Moi je fais mes trucs, c'est moi le patron, c'est comme ça que ça marche".

- S'ensuit assez naturellement une participation aux enregistrements de Marie Audigier, la compagne de Murat à l'époque.

"Marie m'a branché pour faire un truc. J'étais content de le faire, Marie est quelqu'un d'extrêmement gentille et elle m'avait dit « J'veux plein, plein de guitares ». Elle était barrée sur ce groupe anglais, je me rappelle plus, sur lequel il y avait plein de guitares. Alors j'ai bossé plein, plein de guitares".


Les 4 pochettes


- Choix de production oblige, une petite partie seulement de ce travail est retenue. Ce qui n'empêche pas Pietri d'intervenir une nouvelle fois sur Vénus, le temps du « Matelot ». Dans le rôle, qui peut parfois s'avérer ingrat, d'instrumentiste au service de l'artiste
.

"Il m'a appelé à la fin. Là, j'étais allé à Douharesse, je me rappelle. J'étais barré à fond retour blues-rock et donc Denis lui en avait parlé, parce que Denis avait cette idée de moi où, sur la fin de certains trucs, je me barrais dans ce qu'on appelait un solo-fleuve, sans filet, où il se passait plein de trucs. Des fois, j'étais touché par la grâce, des fois pas. Ça arrive. Et il voyait un truc dans cet esprit. J'ai fait ce qui me passait par la tête. Maintenant, je sais pas, ça lui a peut-être pas convenu, parce qu'il m'a gardé quelques petits bouts de trucs à la fin".

- C'est à ce jour la dernière collaboration de Pietri avec Murat. Les années qui suivent sont faites d'un éloignement progressif, pour des raisons difficiles à déterminer. Quelques rencontres occasionnelles, près du Servières ou le temps d'une fondue partagée à Douharesse, des rendez-vous manqués, faute de temps, d'audace ou d'envie, des nouvelles qu'on se transmet, malgré tout, par l'intermédiaire des proches, Christophe Pie ou Sarah Julien, la compagne de Jérôme depuis près de 20 ans, ancienne guitariste de Subway avec qui JLM s'est produit quelquefois. La célébration de l'anniversaire de Passions privées lors de l'édition 2012 de Koloko aurait pu constituer une opportunité pour des retrouvailles.

"Je crois pas qu'il m'ait contacté. S'il l'a fait, c'est peut-être par personne interposée... Je pense pas qu'il m'ait appelé, non... Non, non... Non, je m'en serais souvenu a priori".


Pie et Pietri


- Et le concert annuel donné par Murat au profit de Clermauvargne étant habituellement programmé le samedi, jour où Pietri est souvent sur scène, il regrette de n'avoir jamais pu s'y rendre.  Cette distance avec « Jean-Louis », l'ami, ne l'empêche pas d'avoir un point de vue sur Murat, l'artiste. Sur l'auteur, d'abord, pour lequel Pietri éprouve le plus grand respect.

"Jean-Louis, pour moi, est un vrai poète (sans lui passer de pommade) ce que je ne serai jamais. D'ailleurs, il m'avait branché à un moment, il m'avait dit « Bosse les textes », je lui avais dit « Jean-Louis, arrête, déconne pas ». Je pense que je n'aurai aucun talent dans l'écriture, je peux travailler 150 ans – en supposant que j'arrive à vivre 150 ans – en travaillant tous les jours, je serai jamais bon, parce que ce qui m'intéresse, c'est d'avoir la magie, c'est qu'il y ait l'étincelle. Si je lis un texte de Murat, tu vois, je vais te le dire, « Le col de la Croix-Morand », hein, «comme un lichen gris / sur un flanc de rocher / comme un loup sous la voie lactée / je sens monter en moi / un sentiment profond / d'abandon », tu vois, je m'en souviens, ça fait 25 ans que j'ai pas lu. Quand on a bossé ensemble, il me l'avait fait écouter en premier, je lui avais dit « J'aime vachement, ça sonne assez blues finalement ton truc ». C'était à Pessade, je m'en souviens, qu'il me l'a fait écouter. Jean-Louis est un vrai poète, il a l'étincelle quand il écrit. Ses vers, je m'en souviens, sans musique, je les lis, ça me met les poils. Je lis ses vers, le début de « La Croix-Morand », ça me met les poils. Ça me les a mis il y a 25 ans ou 30 ans, ça me les met aujourd'hui".

- Ses louanges sont logiquement plus tempérées pour le musicien, Pietri ayant à ce niveau quelques compétences à faire valoir...

"Je pense que la différence de perception, c'est que je suis quand même beaucoup, beaucoup guitariste... Il a passé beaucoup plus de temps à écrire que moi et j'ai passé beaucoup plus de temps à travailler la guitare que lui. Pour moi, la musique passe avant le texte et pour lui, je pense que c'est le contraire quand même, ou alors il a changé peut-être".

- On lui parle du retour aux guitares de Murat à la fin des années 90, notamment sous l'influence de Marc Ribot, de la mise en avant par le chanteur de son travail de musicien, lui qui déclarait en 2006 « aimer de plus en plus jouer de la guitare », au point d'affirmer en souriant : « Maintenant, j'ai une vie de guitariste, cela me plaît beaucoup ». Pietri reconnaît qu'il n'a pas suivi en détail le parcours de son vieux camarade.

"Ça fait des années que j'écoute plus que du blues, du rock n' roll et du jazz, ce sont mes trois mamelles. Donc, en toute objectivité, je dois dire que j'ai pas suivi en détail ce qu'il a fait".

- Il n'en a pas moins un regard de professionnel sur les ambitions d'instrumentiste de JLM.

"Il a bien fait de s'accompagner à la guitare, y a des tas de blaireaux qui s'accompagnent à la guitare, il fait le truc largement aussi bien qu'eux, voire mieux. Il est suffisamment musicien pour s'accompagner, il faut quand même bien reconnaître, me semble-t-il, qu'il brille plus par ses talents de songwriter – compositeur aussi, pas seulement poète – que d'instrumentiste. Faut pas déconner, c'est quand même pas Derek Trucks..."

- Certes, et Murat n'a sans doute jamais eu la prétention de rivaliser avec celui que le magazine Rolling Stone classait en 2011 parmi les 20 meilleurs guitaristes de tous les temps, juste entre Neil Young (admiré par Murat) et Freddie King (à qui Pietri rendait hommage sur son premier album, avec le très revigorant « Apologies to Freddie »). Cette évaluation exigeante d'un musicien expérimenté s'achève d'ailleurs avec le sourire, puisque Pietri relève, pour s'en amuser, ce qui pourrait s'apparenter à un croisement.

"Le truc rigolo, c'est que lui, donc, il est devenu plus guitariste à un moment et moi, sur le dernier album, je suis plus songwriter que guitariste paradoxalement, même si je joue de la guitare".

 

(à suivre)

 

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Doit-on dès lors s'attendre à voir Murat crédité comme guitariste sur le prochain disque de Pietri ? Hypothèse évidemment fantaisiste, ce dernier étant suffisamment maître de son instrument pour ne pas avoir besoin de le confier à quelqu'un d'autre. Il n'est en revanche pas interdit de rêver à des retrouvailles entre les deux hommes, guitare en main. Concluons donc cette rencontre par un vœu, précédé d'un souvenir.
« L'ange déchu », on l'aura compris, se termine par quelques accords de slide guitar joués par Pietri, qui ajoute ainsi à ce morceau une couleur blues peu présente à l'époque dans la musique de Murat. Sur le même album, Cheyenne autumn, on peut entendre, en ouverture et en clôture de la plage 11, les pleurs d'un bébé. Le livret nous apprend que ce nourrisson se nomme Yann C. Nous sommes alors à la fin des années 80.
Transportons-nous à présent fin 2013, lors de la soirée de célébration des 50 ans du rock à Clermont. À son arrivée sur la scène de la Coopérative de Mai, Pietri remercie les organisateurs et confie : « Je suis ravi de jouer avec le fils de mon pote Denis, ça me fait drôle. » Il est en effet accompagné ce soir-là, comme tous les participants, par The Elderberries et leur batteur, Yann Clavaizolle. Autrement dit : Yann C. À un quart de siècle de distance, voici donc le vieux bluesman Pietri et le désormais jeune adulte, Yann C., réunis une deuxième fois. Lorsqu'on mentionne ce détail à Pietri, il en rit : « Elle est très bonne. »
Puisque le temps, dans sa souplesse, s'autorise ce genre d'acrobaties, demandons-lui une faveur : qu'il offre un de ces quatre (lors d'un prochain Koloko par exemple, cette soirée se prêtant à toutes les audaces) à Pietri et Murat l'occasion de se retrouver ensemble sur une scène, guitare à la main, ne serait-ce que l'espace d'un titre. Et pourquoi ne pas imaginer derrière eux, pour les booster, le jeune Yann C ? Quant au répertoire, il ne devrait pas être trop difficile à déterminer, puisque les deux hommes ont un certain nombre de goûts musicaux en commun. Le blues, bien sûr, qu'il s'agisse du plus ancien, celui du Delta, pratiqué par John Lee Hooker notamment, ou du blues blanc façon Tony Joe White, mais aussi le blues-rock à la manière d'un groupe comme ZZ Top – le « péché mignon » de Murat – qu'ils ont tous les deux repris chacun de leur côté. ZZ Top, qui avait signé au début des seventies la chanson « Beer Drinkers & Hell Raisers », titre qui, certaines années, résumerait assez bien l'état d'esprit des participants à Koloko, qu'ils se trouvent dans la salle ou sur scène. À bon entendeur... Santé !

M.

 

La suite : partie 3 à lire là

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Merci à M. pour ce gros travail (retranscription, mise en ordre...et la qualité du questionnement), et bien entendu à M. Pietri de nous avoir accordé un peu de temps. Je remercie encore les auteurs des photos ayant été utilisés dans la partie 1 de cette interview.  On se quitte en écoutant un peu de sa guitare sur Passions Privées, avant que vous alliez faire un tour sur  le site officiel de Jérôme Pietri.     Nouvel album: Gone fishin'

 

 une vidéo de la commentatrice Rhiannon:

 

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 9 Juin 2014

    © Jacques Fournel JFO9417© Jacques Fournel

 

Je vous ai parlé dans un article précédent du livre « Jamais par une telle nuit » de Magali BRENON où l’œuvre et le pays de Jean-Louis Murat tiennent une place importante : on y retrouve ses mots, son territoire (Godivelle, Roches, Guery...) et ses paysages, l'évocation de sa voix...  

Comme à chaque fois qu’un « muratien » fait son outing, une Inter-ViOUS ET MURAT-s'imposait  (même si  j’étais dans mes petits souliers de satin à devoir me frotter à de la littérature… sans parler de mes échecs auprès d’Arnaud Cathrine et d’Olivier Adam). La réponse a été rapide de la part de Magali qui s’est avérée une lectrice de ce blog… et qui de toute évidence  avait envie d’évoquer plus en détail sa passion pour Murat et « son pays sauvage »,  voire même de faire passer un message.  Ce rôle d’intermédiaire, j’aime à penser qu’il n’a parfois pas été vain, et je suis très fier de partager avec vous  cette inter-ViOUS ET MURAT- empreint du style et des sensations de cette auteur.

« Jamais par une telle nuit » est le deuxième livre (après « j’attends Medhi », mars 2009) de Magali BRENON, paru aux éditions « LE MOT ET LE  RESTE ». 

L'interview est illustrée de photographies originales de ©Magali Brénon prises en Auvergne.

  couv def jamaisparunetellenuit

Bonjour Magali

On a partagé les mêmes bancs de concert... mais on ne se connait pas... Vous êtes née à Lyon. C’est un des rares éléments biographiques dont je dispose (une volonté de votre part ?). Puisqu’il s’agit d’une de mes identités également, cela m’intéresse de savoir quel est votre parcours lyonnais.

 

M. BRENON : Il n’y a rien de particulier dans mon histoire qui justifie de figurer dans la bio d’une 4e de couverture. Je suis née à Lyon, en effet, et j’y suis restée jusqu’à l’âge de 19 ans. Je m’y suis beaucoup, beaucoup amusée, mais lorsque j’en suis partie le monde s’est ouvert. Lyon, je l’ai aimée la nuit en voiture pour ses roches illuminées, ses reliefs, sa végétation dense et ses fleuves, ses péniches et ses quais mal famés. Circuler dans Lyon la nuit à 18 ans, en douce, ç’a été pour moi une immense sensation de liberté, une fugue à laquelle j’ai pris goût. Il y a dans cette ville quelque chose d’insidieusement lourd, une morale indécrottable qui m’a toujours pesé et qui me donne une irrépressible envie de fuir. Lyon, c’est une ville que je connais sans plus la connaître, et pour laquelle je n’ai plus aucune curiosité. C’est le nid dont il fallait tomber, et avec lequel il faut garder ses distances. Pourtant c’est ancré en moi, comme la campagne environnante, où je me suis profondément ennuyée petite, où j’ai intensément éprouvé ma solitude, mais qui a inscrit dans mon corps une trace profonde. Ces bois, ces ruisseaux, cette végétation et ces bruits que j’ai découverts en Auvergne lorsque j’ai commencé à écrire Jamais par une telle nuit m’étaient étrangement familiers, j’ai mis du temps à comprendre pourquoi. Ça ressemblait, ça faisait écho à quelque chose de très lointain et de très enfoui, et dont la sensualité fondamentale n’a pu s’exprimer que parce qu’elle m’est apparue ailleurs, en plus grand, en plus beau, de façon différente et pourtant proche. Et, surtout, parce que ces lieux-là, ces volcans, ces collines et vallées, je les avais choisis.

 

 

- Est-ce qu’à l’époque vous découvriez Murat ? (Sans parler du roman pour l’instant, comment avez-vous découvert Murat, et comment avez-vous continué à le suivre : achats/écoute des albums, concerts régulièrement ?)

 

M. BRENON :     Non, j’ai découvert Jean-Louis Murat plus tard, quand j’ai quitté Lyon pour Montpellier. Là, j’ai rencontré un nommé Nicolas qui m’a fait écouter Dolores, sans plus. Quelque temps plus tard, chez un autre Nicolas, celui avec lequel je vis et travaille toujours, j’entends à la radio que la première personne qui appelle pour donner le nom du précédent album de Murat gagnera Mustango. Je savais que c’était Dolores, mais je n’osais pas appeler. C’est donc le second Nicolas qui a téléphoné pour moi, et c’est ainsi qu’en 1999 j’ai gagné Mustango et que je suis devenue monomaniaque, à écouter ça tous les jours en boucle, avec Fantaisie militaire de Bashung et Dummy de Portishead. Ensuite, voilà, j’ai acheté tous les albums que sortait Murat. J’avoue, je les ai tous aimés de façon inconditionnelle. Tous, sauf A bird on a poire et Parfum d’acacia au jardin, qui m’ont d’abord semblé pour l’un trop colonisé par Jennifer Charles, et, pour l’autre, trop colonisé par les images du DVD joint pour que je parvienne à me concentrer sur les textes. Chez Murat, ce sont les textes qui me retiennent, le pouvoir érotique et introspectif des paroles, la musicalité des phrases et, bien sûr, les variations et modulations de la voix, ce qu’elle dit en sons de bouche et de gorge, en chuchotis ou en murmures, dans ses résonances au-delà des mots, dans tout ce qui dévie le sens ou le renforce. Il faut dire aussi que j’ai un rapport particulier à ma propre voix, qui ne sort pas facilement, qui se terre, me résiste, tremble et me réduit parfois au silence, et qu’en conséquence la liberté que peuvent prendre certaines personnes avec la leur m’interroge toujours. Moi, la voix, c’est surtout une voix écrite, relativement silencieuse, même si j’écris à l’oreille et que je me lis à voix haute, tout le temps. C’est drôle, parce que ma découverte de Murat a succédé à celle de Duras. Les deux se sont superposés, tant par la force de leur langue et de leur voix que par l’exploration du désir. Chez Duras, me fascinait tout ce qui se disait des champs illimités et déferlants d’un corps féminin désirant ; chez Murat, me questionnait la façon dont un homme peut désirer le corps d’une femme au point de tout érotiser autour, avec ce truc, n’ayons pas peur des mots, éminemment viril. Et puis, tous les deux, on peut le dire, n’ont jamais lésiné à donner de leur personne pour écrire, à se risquer à formuler au plus près ce qui les traversait. Ils ont mouillé leur chemise. Il y a des phrases de Duras que je n’oublierai jamais. Chez Murat, chaque fois qu’un nouvel album arrive, quelque chose de neuf se grave en moi et vient s’ajouter à ce qui était déjà là ; ça résonne en continu. C’est à Paris que je l’ai vu pour la première fois en concert, pour Taormina me semble-t-il, et c’est là que je me suis mise à acheter tous les albums qui avaient précédé Mustango, les versions live, les disques promotionnels, à chercher les inédits mais aussi et surtout c’est là que j’ai rencontré ses livres. Or mon admiration absolue va à 1451, pour sa version audio d’une extraordinaire poésie et que je crois n’avoir jamais écoutée qu’au casque pour ne rien en perde. C’est un texte existentiel dense et risqué, puissamment érotique. Et puis bien sûr il y a la version vidéo, où l’on retrouve tout l’humour et toute la fantaisie du personnage, que j’adore. Cette façon d’être à la fois engagé corps et âme dans une pratique, acharné au travail sans doute, ridicule et grande gueule ; de savoir rire de soi aussi bien qu’envoyer balader les autres de manière irrésistiblement drôle ; de ne pas se prendre pour n’importe qui et de l’assumer. J’adore ses sorties médiatiques, ce sont toujours pour moi de grands moments d’euphorie. Voilà, je suis une inconditionnelle, c’est clair ? Rien d’étonnant que par la suite je me sois mise à faire 500 km pour aller le voir au Palais idéal du facteur Cheval à Hauterives ou à la Coopérative-de-Mai à Clermont, ni que pour écrire Jamais par une telle nuit je sois allée tourner autour de chez lui, en cercles concentriques plus ou moins larges – sans jamais oser aller frapper à sa porte.

 © Magali Brénon IMG 0661

 

- Sur votre statut d’« inconditionnelle », quelles sont vos relations avec le mot « fan » ? éventuellement avec le mot « muratien »  (qualificatif que je mets à toutes les sauces ... Je me rappelle que l'écrivain résidant à Lyon Laurent Cachard -qui chronique chaque concert de Murat auquel il assiste-  avait refusé lui que je lui accole ces deux termes).  

 

M. BRENON :      Le mot « fan » ne me pose aucun problème, je dis moi-même que je suis une fan absolue de Jean-Louis Murat. Avec ce que je viens de dire et ce qui va suivre, on pourrait difficilement prétendre le contraire. Et puis, ça va, j’aurais pu tourner plus mal. Vous qualifieriez mon livre de « muratien » ? Pourquoi pas. Si dans Murat + ien le suffixe exprime l’idée d’origine, alors Jamais par une telle nuit est indéniablement muratien : c’est de Murat que tout est parti, d’où le titre, emprunté à une phrase de Jim, elle-même empruntée à Keats. Au départ, mon éditeur m’avait commandé un texte de fiction sur JLM. Mais plus j’empruntais du vocabulaire à Murat, plus j’allais tourner autour de chez lui pour établir une cartographie de ses chansons, plus le projet virait de bord. Il a été clair très vite que je n’écrirais pas sur Murat, mais sur un corps dans ses paysages. Qu’à ma façon je mettrais mes pas dans les siens, et ses mots dans les miens. À l’origine, ce livre est donc muratien. D’autant plus muratien qu’il n’est pas inconcevable qu’au début du livre Murat figure pour le personnage féminin une sorte d’amant imaginaire et idéal (les femmes comprendront). À l’arrivée, Jamais par une telle nuit est d’autant moins muratien que le personnage a perdu sa langue en cours de route. Oui, la femme du livre perd sa langue, et avec elle toutes les paroles qu’elle avait empruntées, à Murat notamment. Elle a rencontré un homme et s’en est éprise (les femmes comprendront), et lorsque disparaît cet homme qu’elle aime, elle perd les mots sur lesquels elle s’était construite, ces mots qui habillaient son corps. Cette femme, elle ne peut plus se définir ; elle ne peut plus dire je suis. Privée de sa langue et des mots qu’elle s’était choisis pour se qualifier, elle n’est plus ni la reine des ronces, ni une fille sans crainte, ni une femme ni une fille des rues. Et même Jean-Louis Murat ne peut plus rien pour elle. Pourtant, il lui reste une chose : son corps. Son corps qui est vivant, et qui traverse la perte de l’énigmatique Marcello en essayant de s’inventer une langue nouvelle pour dire tout à la fois l’impossible violence de la perte, et l’impossible violence du désir qui s’en fout et qui s’obstine en ennemi récalcitrant à lui rappeler combien elle a désiré et désire encore cet homme qui s’est volatilisé. Cette femme, plus elle avance – et on peut conclure sur une autre idée qu’exprime le suffixe -ien dans « muratien » : l’appartenance –, cette femme, plus elle avance, donc, et plus il est certain qu’elle n’appartient qu’à une chose : le monde sauvage. Le monde sauvage, il grouille du désir qui persiste et du sens qui s’évide ; c’est le lieu même de l’écriture. C’est ce truc impossible dont il vaut mieux, à mon avis, essayer de faire quelque chose, et dont Murat parle si bien dans Chanter est ma façon d’errer. Alors voilà, il faut dire à Jean-Louis Murat que j’aimerais beaucoup lui appartenir, mais que, sauf contre-information de sa part (auquel cas j’accepte de revoir ma position – les femmes comprendront), comme tout artiste qui se respecte (il comprendra), plus qu’à lui à la manière d’un suffixe, j’appartiens au monde sauvage.

 

 

-Votre éditeur connaissait votre « passion » ?

 

M. BRENON :    Non, pas du tout. Et d’ailleurs à l’époque c’était encore une passion très intériorisée. Quand je suis allée à Marseille signer mon contrat pour mon premier livre, J’attends Mehdi (2009), mon éditeur m’a proposé d’écrire pour sa collection « Solo » un texte de fiction sur un chanteur, un groupe ou un disque qui m’avaient marquée. J’ai tout de suite pensé à Jean-Louis Murat, même si je ne voyais pas du tout comment je pourrais écrire sur cette obsession bien nommée qui était pour moi une personne tout à fait inconnue. Quoi qu’il en soit, mon éditeur me proposait une direction dans laquelle partir et ça me convenait : je lui laissais un texte que j’avais passé quatre ans à écrire mais je repartais avec une idée. Dans les jours qui ont suivi, alors que j’étais en vacances en Ardèche, j’ai décidé d’aller pour la première fois en Auvergne. Ruoms > Rochefort-Montagne. Arrivée à Rochefort-Montagne, le mec chez qui j’avais réservé une chambre me demande ce que je fais là, toute seule. Je lui explique mon projet et il me dit vous devriez le rencontrer. Moi, quand je vivais aux Marquises, Brel était tout près et je n’ai jamais osé aller le voir, je le regrette encore. Ensuite c’est parti tout seul, il m’a parlé très longtemps, de toute sa vie, et je vois encore ses larmes quand il m’a raconté qu’il avait découvert la grotte Chauvet avec Chauvet et Hillaire, mais qu’ensuite ils avaient continué sans lui. Je ne sais pas si c’est vrai mais cette histoire me plaisait. Vous imaginez ? Découvrir la grotte Chauvet ? Pleurer, il y aurait de quoi. Je ne le connaissais pas, je venais juste d’arriver avec mon sac et il pleurait. J’avais dit Jean-Louis Murat et on se retrouvait dans la grotte Chauvet. Il m’a invitée à manger avec sa fille et d’autres personnes qu’il hébergeait, la nuit est tombée et nous sommes tous partis nous baigner dans la source chaude au pied de la taillerie. Cette eau à quarante-deux degrés dans un bloc de béton en pleine nuit c’est encore un événement auquel je ne m’attendais pas. Sur le chemin du retour il m’a dit je vais te montrer la maison de Jean-Louis Murat. Je n’ai même pas eu à demander. Il était tard et il faisait nuit noire en rase campagne, j’étais crevée par mon voyage et ramollie par l’eau de la source, mais il fallait que je me concentre pour localiser dans le paysage inconnu cette maison énigmatique et emblématique qui venait à moi sans que j’aie vraiment eu à le réclamer : il fallait que je puisse y revenir seule par la suite, de jour comme de nuit. J’ai réussi.

 

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- Cela me fait repenser à ce que nous racontait Jeanne Cherhal, partie elle aussi en exploration de Douharesse... Vous ne l’avez jamais rencontré ? J’imagine que le livre lui a été transmis...

 

M. BRENON :    Oui, j’avais lu cette interview et ça m’avait interpellée. Le lendemain de la source, c’est la première chose que j’ai faite : essayer de retrouver sa maison. Sur une carte j’ai repéré le lac du Guéry, et pas loin Douharesse. En voiture, je suis allée jusque devant chez lui. Il y avait une femme dans son jardin, une brune aux cheveux ondulés avec des bottes en caoutchouc, qui avançait vers le portail, donc dans ma direction. Je me suis sentie assez mal, je dois dire, comme la seule fois où je me suis mise tout devant à un concert, et où je pouvais le regarder droit dans les yeux. C’était trop près. D’ailleurs il avait les yeux fermés. La femme de son jardin, on aurait dit celle du clip Au-dedans de toi. Je ne me suis pas arrêtée, j’ai continué et je suis ressortie par l’autre côté du hameau. Qu’est-ce que je cherchais à voir ? Ça ne me regardait pas, sa vie. Je préfère me tenir à distance. Être là, mais à distance, semer des petits trucs par-ci, par-là, un signe de mon passage, une pensée, un rendez-vous à un concert où je serai dans la foule et où il ne me verra pas. Ce sont des points de fiction et de fantasme qui me suffisent. Et puis j’adore faire parler les gens entre Rochefort-Montagne et Orcival, voir l’air suspicieux de la postière à mon égard et apprendre que Jean-Louis Murat c’est souvent sa femme qui vient relever sa boîte postale. Les gens parlent volontiers et j’aime beaucoup les entendre. Il est marié vous savez ? On le voit souvent à la chocolaterie. Il jette des pierres aux vieilles personnes. Moi j’ai fait le château en Lego dans Fort Alamo. Il a changé mais sa femme est bien. Moi de toute façon je préfère Renaud. Oui, oui, ses origines paysannes, d’accord, mais il n’est pas plus paysan que moi. En revanche il est très gentil. Il a une belle voiture. Et puis son fils, et puis sa fille… Et puis ceux chez qui son fils et sa fille sont venus dormir, ceux qui se souviennent du passage de cette chanteuse dont ils ont oublié le nom mais qui était peut-être Mylène Farmer, oui, celle avec les cheveux rouges. Ceux qui trouvent que c’est quelqu’un de bien ou qui me conseillent d’aller faire mes courses chez Shopi parce qu’on l’y voit souvent. Ces anecdotes à la Ginette Ramade ou ces légendes à la Henri Pourrat m’enchantent ; je ne vois pas ce que j’irais faire chez lui. J’ai des photos de sa maison par toutes les saisons, de toutes les couleurs, prises depuis le point de vue de la Tuilière et la Sanadoire. Volets ouverts ; volets fermés. Voiture devant le portail ; pas de voiture. Travaux et bâche verte. Véranda ouverte. Ce n’est pas parce que les volets sont ouverts ou qu’une voiture est garée devant chez lui qu’il est là. Je n’en sais rien et ça me va très bien. Une fois, j’avoue, par une nuit de pleine lune, je suis vraiment allée devant chez lui. J’avais garé ma voiture au bord de la route et cent mètres à droite, etc., j’ai marché sur le chemin dans le bruit des chevaux, des chiens et des vaches, de la campagne qui ne dort jamais tout à fait, comme dans ses chansons. Je me suis assise au pied du réverbère et j’ai regardé le mai de sa femme qui venait d’être élue à Orcival. J’ai fumé des cigarettes et je suis repartie. En 2009, je lui avais envoyé mon premier livre parce que je lui avais déjà emprunté cette phrase, qu’il avait lui-même empruntée pour la faire chanter par une femme d’ailleurs : Never on such a night have lovers met. Je n’ai jamais eu de réponse mais quand j’écoute certaines de ses chansons je me plais à croire qu’il l’a lu. Bien sûr je lui ai aussi envoyé Jamais par une telle nuit, et bien sûr j’espère pouvoir me dire la même chose quand j’écouterai ses prochains albums. Jusque-là, le rencontrer n’était pas fondamental. Mais aujourd’hui j’ai quelque chose à lui proposer. Alors, peut-être, oui.

 

Never on such a night-piscine secrète © Magali Brénon et

                                                                         Never on such a night-piscine secrète © Magali Brénon et Nicolas Tourre

 

 

- Ah, tiens, cette proposition, j’imagine que vous ne nous en direz rien ? Mais je suis obligé de creuser !! Est-ce en rapport avec votre métier d’éditrice, notamment vu ce que vous nous disiez de 1451 ? Même si Murat a dit qu’il n’avait pas assez de suite dans les idées pour passer au « livre », et que vous avez souligné toute la dimension de sa voix, pensez-vous que Murat devrait franchir le pas ?

 

M. BRENON :     Effectivement, je ne vous en dirai rien. Mais en ce qui le concerne, il a déjà franchi le pas du livre à plusieurs reprises, sans abandonner la dimension vocale, et de façon tout à fait cohérente par rapport à sa pratique. Je ne vois pas en quoi Murat n’aurait pas assez de suite dans les idées ; sa carrière de chanteur prouve le contraire. En matière de chanson française, il se pose en tant que résistant. À quoi pense-t-il quand il dit « livre » ? À quelque chose qui serait au-dessus de la chanson ? Pour faire un livre, un vrai livre, il faut du désir, de l’acharnement et de l’intégrité ; je crois qu’il ne lui manque rien. Dans l’édition française c’est la même chose : par endroits – pas partout –, ça sent le renfermé et ça aurait bien besoin de résistance. Face à l’effondrement du marché du livre, peut-être est-il temps que ça décoiffe un peu ? Le consensus, les banques et le marketing finiront par précipiter ce petit monde vers sa perte. C’est le moment d’avoir de l’audace et de faire entendre des voix qui s’adressent aussi à tous ceux qui, croit-on, ne lisent pas. D’ouvrir les fenêtres en grand pour faire entrer du muscle et de l’estomac. Les maisons d’édition sont remplies de gens formidables qui exercent leur métier avec passion et expertise. Ces personnes, qu’elles se mettent au service d’un grand dépoussiérage, et elles éviteront peut-être le naufrage. Personnellement, j’ai confiance. À ma connaissance, quelles que soient les périodes, les vrais artistes n’ont jamais disparu de la surface de la Terre. Ils ont toujours su trouver les moyens de faire entendre leur voix, de contourner le système ou de l’utiliser pour mieux résister. C’est le devoir des éditeurs que de les aider à se faire entendre ; ou alors les artistes se passeront d’eux.

 

 

- Pour en revenir au livre, j’ai été un peu étonné que le nom de Murat ne soit pas cité, ni en avant-propos, ni en dédicace... La question ne s’est pas posée ?

 

M. BRENON :     Absolument pas. Parce que ce n’est pas un livre sur Murat, et parce que je ne lui dois pas tout. En revanche des titres de ses chansons et des paroles sont cités dans le livre, lorsque dans sa chute mon personnage tente de se raccrocher à quelque chose qu’il connaît. Ils sont cités au même titre que les noms de lieux, de fleurs, de cascades, toutes choses qui ont participé à la mise en marche du corps de cette femme et se sont tus avec la disparition de l’homme qu’elle croyait aimer. Tout de même, les allusions à Murat sont très explicites, et j’aurais pu aussi mettre en exergue Fellini, Keats, Shakespeare ou Duras. Les murmures que cette femme entend, le vocabulaire qui la propulse vers cet homme résonnent dans son corps exactement comme des paroles de chansons, en boucle. Comme une voix intérieure ils viennent exprimer sans relâche quelque chose qu’elle ignore mais qui agit son corps et mobilise son désir. Mais non, Murat n’est pas mis en exergue, parce que ce livre n’a à voir avec lui que l’effet de ses paroles et de sa voix dans mon corps à moi. Ses paroles en tant que sonorités. Ce livre, il parle du soulèvement du désir dans un corps de femme et de l’émergence d’une voix qui serait plutôt la mienne. Or la phrase qui m’a semblé le plus juste et le plus synthétique pour dire ça était de Yannick Haenel. Et puisque Le Sens du calme, Cercle et À mon seul désir ont aussi été dans ma vie des découvertes importantes, j’ai choisi une phrase de Haenel.

 

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- Murat, ses mots, son pays, sont très présents dans la première partie puis à la fin du livre, mais moins dans la narration de l’histoire d’amour. Y a-t-il néanmoins du « Murat » dans le personnage dont la narratrice tombe amoureuse, personnage dont on saura assez peu finalement ?

 

M. BRENON :    Comme je l’ai dit, tout est parti de Murat : je lui ai emprunté du vocabulaire, je suis allée sur les lieux et dans les paysages qu’il nomme ou décrit dans ses chansons. Peu à peu, cela a constitué une sorte de géographie, comme le dit Mohammed Aïssaoui dans son article du Figaro littéraire. Dans cette géographie, un personnage s’est dessiné, un personnage en marche avec son corps désirant, et le paysage est devenu le lieu de ses projections mentales. Toute la première partie, celle du soulèvement du désir dans le corps de cette femme qui marche nue dans le paysage sans savoir vers quoi elle avance ni ce qu’elle cherche est en lien étroit avec Murat et porte la trace de mon écoute forcenée de ses chansons. Mais dès qu’elle comprend que ce désir, qui résonne et chante sans pouvoir se dire, peut s’exprimer par son corps même et non plus seulement par des rêveries fantasmées qu’elle prête à la voix d’amants imaginaires, dès qu’elle aperçoit cet homme qui lui plaît, ce Marcello, alors les murmures muratiens se taisent pour la laisser rejoindre avec son corps cet homme qui vient incarner, croit-elle, l’amant idéal. Là, on change de registre. Car cet homme réel a moins à voir pour elle avec Murat qu’avec l’une des plus belles scènes du cinéma : celle de la fontaine de Trevi dans La Dolce Vita. Très vite les paroles érotiques entendues mais informulées laissent la place au fantasme du latin lover et à toutes les images qu’il véhicule. La langue change et devient plus saccadée, moins évidente. La langue se cherche au même titre que se cherche cette femme soudain confrontée à un inconnu. Cet homme, il n’a rien de muratien. Il vient d’Uruguay, pays qu’elle ne connaît pas mais qu’elle imagine en projetant sur son corps à lui ces images de lagunes et de langues de sable dont il est question dans les guides touristiques. Murat reste à la porte et elle ne s’en plaint pas parce qu’elle est occupée à vivre et à découvrir son corps en regard du corps de cet homme. Murat reste à la porte parce qu’elle quitte le domaine des rêveries poétiques pour se livrer à un amant. Résultat : quand Marcello la laisse tomber, ce vocabulaire muratien et ces mots sur lesquels elle s’était construite ne la définissent plus et elle ne sait plus qui elle est. Sans mots pour la vêtir il ne lui reste plus qu’un corps à nu sans rien pour se dire. Aussi dans sa chute tente-t-elle de se raccrocher à des choses qu’elle connaît, à cette langue qui semblait opérer pour la définir. Elle rappelle à elle les paroles et murmures muratiens qui disaient son être désirant, mais ni Murat ni les paysages d’Auvergne ne peuvent plus rien pour elle. Au lieu de projections sensuelles, la carte sur laquelle elle se déplace alors devient le lieu d’une errance obsédée par le souvenir de cet homme dont l’image revient sans cesse. Des lieux où elle tente de faire passer le temps en marchant et en nageant comme une brute pour apaiser son corps en l’épuisant. Pourtant, à force de cartographier ses mouvements désordonnés, à force de renoncer aux murmures empruntés et aux images des films qu’elle se fait, elle parviendra à redonner à son corps des contours neufs et à faire émerger sa voix à elle, cette voix issue des tréfonds de son histoire et qui pourra moduler au plus près ce qu’elle vient de traverser. C’est un livre plein d’espoir, finalement : ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Du désir et de la douleur d’exister on peut faire quelque chose, il suffit de chercher et d’expérimenter, avec acharnement. On le vérifie chaque jour dans les pratiques artistiques.

 

 

- Sur les pratiques artistiques (on appréciera les photos qui illustrent cette interview), vous travaillez aussi avec votre compagnon Nicolas Tourre, artiste plasticien. Vous étiez même en résidence à Clermont il y a peu. Pouvez-vous nous parler de ce travail ? Est-ce qu’il nourrit votre travail littéraire ?

 

M. BRENON :      Les photos que je prends in situ sont pour moi des photos documentaires. Je ne leur confère pas de valeur artistique en tant que telles. En revanche, il arrive que nous les utilisions avec Nicolas pour en faire des pièces plastiques : nous voyons ensemble comment les traiter, les accrocher, les mêler à autre chose. Il a l’œil ; j’ai la voix. Chacun son moteur et son objet. Mon objet à moi, c’est la voix. Elle m’a d’ailleurs sauvé la vie il y a quelques jours, lors d’une agression. Mes photos, comme mes vidéos, je veux juste qu’elles se focalisent sur ce que je vois et que je dirai plus tard avec des mots. Mon souci, c’est qu’elles soient au plus près de mon écriture. Nicolas, lui, pratique une peinture qui flirte avec la dissolution de ses propres modalités et travaille à la mise en crise de l’image. C’est une peinture qui n’hésite pas à emprunter au volume, au dessin, à la photo ou à la vidéo. Nous avons donc chacun notre pratique, et cette collaboration épisodique est née en 2008 de la nécessité, à un moment où nous étions séparés géographiquement, que circule dans l’écart entre deux lieux et deux personnes quelque chose de la pratique de l’un dans la pratique de l’autre. Le Privilège ambigu de frémir, le projet que nous menons sur 2014 et 2015 à Clermont dans le cadre d’Artistes en résidence, découle de Jamais par une telle nuit. Nous avons proposé à Martial Deflacieux d’interroger les lieux présents dans le livre via ce que serait aujourd’hui le genre historique de la peinture de paysage. Dans notre recherche, nous avons croisé par hasard à Venise la collection de pierres de Roger Caillois. Lorsque, logiquement, j’ai lu L’Écriture des pierres du même Caillois, j’ai été fascinée par la façon dont il se livrait à des projections mentales parfois d’une extrême sensualité sur les images que ces pierres véhiculaient pour lui. Tandis que Nicolas commençait à dessiner des pierres comme autant de morceaux de paysages, j’écrivais des textes à partir des mots constituant une longue phrase empruntée à Caillois. J’avais cherché la définition de chacun des mots dans le Trésor de la langue française, et dans les définitions sélectionné un vocabulaire pour décrire de l’intérieur le mot initial, en donner la teneur et la saveur sans jamais le dire. Cela a donné lieu à des textes poétiques à consonance érotique, qui ont insufflé une résonance organique aux dessins minéraux de Nicolas. Dans mes textes, Nicolas a prélevé des mots ou des phrases qu’il a fait passer dans ses dessins et peintures, au même titre que des photos ou vidéos que j’avais faites et qu’il a intégrées à son travail en les réinterprétant par cadrage, superposition ou détournement. Peu à peu, nous en sommes venus à photographier des peintures dans les paysages d’Auvergne, c’est-à-dire à faire entrer la peinture ou le dessin dans le cadre de la narration du livre. À nous deux, nous abordons l’exposition comme une métaphore articulée de fragments d’images, de matériaux et de procédés témoignant d’une fiction à temporalité instable qui opère une rupture dans la réalité, en même temps qu’elle l’incarne et en précipite le mouvement. Logiquement, la pérennité de l’image vacille, et la fiction apparaît comme ce qui peut se loger dans tout ce qui vient entailler une réalité forcément imaginaire. Bien sûr, cela nourrit et enrichit mon travail littéraire, comme cela nourrit le travail pictural de Nicolas. Entre deux sessions de résidence à Clermont, dans l’intervalle, le travail continue : individuellement comme en binôme. Chacun de nous exploite et développe pour lui ce qui découle de notre travail commun. Vous pouvez jeter un œil au site (www.nicolastourre.com) ou à nos pages facebook.

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                                                             Agenda. Nicolas Tourre/Magali Brénon

 

 

 

 

- Concluons par deux questions rituelles de l’inter-VIOUS ET MURAT:

Vos trois chansons préférées ? L’album ?

 

M. BRENON :    Autant me demander de choisir trois mots dans un livre que j’adore et une définition dans un dictionnaire en 36 volumes ! Difficile. Sans trop réfléchir, disons La Tige d’or, Alexandrie, Extraordinaire voodoo, et n’y pensons plus. Pour ce qui est des albums, en général j’ai toujours une préférence pour le dernier. Mais va pour Le Cours ordinaire des choses, parce qu’il est arrivé après Charles et Léo et Tristan, et que chanter Baudelaire m’a semblé avoir opéré un tournant radical dans l’écriture de Jean-Louis Murat, une densification qui s’est traduite dans les textes de Tristan et qui s’est alliée à l’aspect musical dans Le Cours ordinaire des choses. Il me semble y avoir dans cet album une sorte d’aboutissement qui trouve son prolongement dans Grand lièvre et Toboggan.

 

Gardez-vous en mémoire un concert particulier ? Un souvenir, une anecdote d’un concert ?

 

M. BRENON :    Pour la liesse et la qualité musicale, le concert de Grand lièvre à la Coopérative-de-Mai. Drôle, jouissif, enthousiaste. Belle cohésion avec les musiciens, une joie d’être là tous ensemble qui déchirait. C’est la première fois que je me suis rendu compte à quel point Jean-Louis Murat pouvait arracher en concert. Inoubliable Yes Sir, que j’ai écouté par la suite de nombreuses fois à fond dans ma voiture, pour me donner du courage les jours de grand désarroi. Et puis je crois qu’à la fin du concert sa femme est venue me demander si j’avais aimé. Je ne suis pas sûre que c’était elle, mais il me semble. En tout cas cette idée me plaît. Pour l’anecdote, ce jour-là, je suis tombée en panne une première fois à Bondoufle, en banlieue parisienne, où je suis arrivée je ne sais comment devant un garage qui n’a pas compris comment j’avais pu faire 50 km avec des tuyaux débranchés et des trucs désossés sous le capot. Je ne m’en étais pas aperçue. Ils ont réparé au mieux et au plus vite (j’avais quelque chose de très important à faire ; je ne pouvais pas me permettre de renoncer), et je suis arrivée à la Coopérative-de-Mai cahin-caha. Après le concert et quelques kilomètres de plus, je suis retombée en panne en pleine nuit sur l’A89. Grand moment de solitude. Mais il était impératif que j’arrive au Mont-Dore, où j’avais réservé un lieu pour quelques jours afin d’écrire un nouveau chapitre de mon livre. Cette aventure a donné lieu à « Rouler ». J’aime beaucoup les hasards. Et l’art, plus que la vie, est un espace où l’on peut prendre la liberté de leur donner du sens.

© Magali Brénon IMG 4389 panne coopé  panne  coopé.  ©Magali Brénon

 

 Un grand merci à Magali BRENON pour son implication, et le prêt de son "matériel" photographique documentaire.

Interview réalisée par mails du 15 mai au 08 juin 2014.

Attention:  La fréquentation non-autorisée des hameaux de la commune d'Orcival est une pratique dangereuse, voire interdite, aux risques et périls des personnes. Elle est fortement déconseillée, notamment en période de reproduction, c'est-à-dire tous les jours:  l'animal, s'il est dérangé, peut abandonner sa couvée artistique  quotidienne. (c'était un message de la LPcA: Ligue de  Protection des chanteurs Auvergnats).      

Cette inter-ViOUS ET MURAT ne parlait pas de la crise du marché du disque... mais de celui du livre.

 

 

LE LIEN EN PLUS:

 

- Dans le cadre de la résidence qu'elle fait à Artistes en résidence à Clermont, Magali Brénon invite deux artistes, Valérie du Chéné et Léo Durand, pour l'exposition "L'amicale du dedans au pays des ronds-points naturels". Du 12 juin au 31 juillet 2014, à La Permanence, 7, rue de l'Abbé-Girard, Clermont. Le mercredi de 14 h à 18 h et sur rdv. Vernissage le jeudi 12 juin à 18 h.

 

- Site de l'éditeur:  revue de presse sur "Jamais par une telle nuit" 

 

- Amateurs de poésie, femmes et hommes sensibles... et collectionneurs maniaques de toutes pièces muratiennes,

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 7 Juin 2014

Point d'introduction humoristique, non. C'est du sérieux: Matthieu nous propose à nouveau un article de fond et de forme, et au long cours, née d'une rencontre avec une grande personnalité musicale clermontoise, et d'un gros travail d'archives. Nous ne sommes pas dans "l'inter-ViOUS ET MURAT" classique,  et c'est pourquoi j'ai choisi de l'insérer dans la série "Hors-Murat".   Hommage au musicien Jérôme Pietri qui figurait sur l'album Passions Privées, de Jean-Louis Murat.

 

2e partie de l'entretien: autour de sa collaboration avec Murat   et    3e partie:  sur gone fishin'

 

  

Jérôme Pietri, 64 ans, étudiant...

  

Lorsqu'on lui proposa, en fin d'année dernière, un entretien avec www.surjeanlouismurat.com, Jérôme Pietri, guitariste sur Passions privées, accepta immédiatement, le sourire aux lèvres. « Tu vas sur mon site, y a mon numéro. » Quelques mois plus tard, le voici donc attablé dans un bar de Chamalières, en pleine promotion de son nouvel album Gone fishin' (9.99euros!), une semaine après avoir copieusement rempli le club de la Coopérative de Mai. Avant de publier dans les prochains jours un volet centré sur ses souvenirs avec Jean-Louis Murat, puis un autre autour de son disque, tentons d'abord ici de retracer en sa compagnie son parcours de musicien. Portrait-rencontre.

 COOPE 2014

 

Les parents de Jérôme Pietri pourraient être fiers de leur fils, eux qui auraient souhaité qu'il effectue quelques études. Car à près de 65 ans, leur garçon reste animé d'une intarissable soif d'apprendre. En premier lieu, d'apprendre à se connaître. « Je trouve que c'est hyper important de savoir qui on est et de savoir comment on fonctionne. Ça me paraît primordial pour un musicien, comme pour un être humain. » Et dans ce domaine de la connaissance de soi, comme dans ceux de la musique ou de la pêche à la mouche, ses deux grandes passions, l'ampleur de la tâche ne semble pas le rebuter. « Le champ d'investigation est infini, on n'a jamais fini d'apprendre. C'est pour ça que tu peux pas avoir la grosse tête, à part les imbéciles ou les hypocrites, parce que plus tu avances et plus tu t'aperçois que t'es ignorant ou que t'as encore des milliers de choses à apprendre. C'est bandant d'ailleurs, parce que si tu savais tout, tu te ferais chier. » Pourtant, Pietri n'a pas toujours eu le profil de l'étudiant-modèle, ratant une prometteuse carrière d'avocat. D'un cheveu. « J'voulais faire de la musique, parce que j'avais déjà le virus, mais comme j'étais un bon fils, je voulais faire plaisir à mes parents qui étaient très inquiets et qui m'avaient dit, comme beaucoup de parents : "On veut pas t'empêcher de faire la musique, mais ça serait bien que tu aies un diplôme." Le droit, c'est là où il y a le maximum de débouchés, j'me suis dit "O.K., pourquoi pas". J'ai fait du droit en n'ayant aucune idée de ce que c'était et au bout d'un mois, j'faisais une allergie. On était 3 à avoir les cheveux longs, sur 800 mecs. » En cette fin des années 60 où certains jeunes gens écoutent pousser leurs cheveux, dixit un Brel moqueur, quelques centimètres en trop suffisent à vous valoir le qualificatif de pédé. Étrangement, Jérôme ne rencontre pas ce genre de problème chez lui, son père, corse et militaire de carrière, se montrant plutôt tolérant. La preuve que les cons ne s'habillent pas toujours en kaki.

 

 

 

Natif de la région parisienne, auvergnat par sa mère, Pietri a un an lorsqu'il arrive dans la banlieue clermontoise, pas très loin de l'actuelle Baie des Singes, où il donnera son premier concert en solo, cinquante-six ans plus tard. Mais le « virus » de la musique l'avait atteint bien avant.

 

 

Tout commence de façon assez classique par la découverte de ses premiers accords de guitare, vers dix ans, en colonie. Les monos jouent du Ray Charles, il accroche tout de suite. De même qu'à cet instrumental emprunté par Les Champions aux Dakotas, qui le pousse à acheter son premier 45 tours, alors qu'il n'a pas encore l'électrophone pour l'écouter. Dès l'acquisition suivante, un disque des Stones, il franchit la Manche et se jette toutes oreilles ouvertes dans la pop anglaise : Beatles, Yardbirds, Animals, Kinks... Autant de groupes qu'il reprendra au sein de sa première formation, montée au milieu des années 60 avec quelques potes de collège, fans comme lui de ces nouvelles sonorités. À propos des Geminis, La Montagne note en 68 qu'ils « semblent compter de fervents et nombreux supporters parmi la jeunesse clermontoise » et souligne l'« excellent jeu de scène » de leur chanteur, Jean-Marc Millanvoye. Lequel se souvient qu'« Un barman du Globe, notre quartier général avait confectionné un cocktail "Gemini", en hommage à notre popularité. » Une poignée de concerts dans le département, dont une soirée en compagnie des Moody Blues, des fans inconditionnelles étrennant les premières mini-jupes, une incursion dans le rhythm and blues, puis vient l'heure de la séparation, logique, avec la fin du lycée, l'évolution des goûts de chacun et un printemps 68 animé...

 

  GEMINIS

 

Après son brillant passage en droit, toujours soucieux de combler ses parents, Pietri part faire un tour en fac de lettres pour tenter d'y mettre à profit son goût pour les langues. « Mais c'était foutu, je commençais à jouer, je me pointais en fac avec la guitare à 9 du mat', j'avais dormi 4 heures, c'était fini... » Car le jeune homme a déjà entamé un autre cursus, qu'il poursuit encore aujourd'hui, avec l'objectif de comprendre pourquoi, mais pourquoi diable, cette musique lui fait un tel effet. « J'admirais tellement les gens, ça me rendait tellement fou quand j'entendais jouer des mecs... Moi finalement, ce que je cherche, c'est la magie. Donc, pourquoi j'ai beaucoup travaillé, puis je continue dès que j'ai un moment ? Parce que moi aussi je voulais être magicien. Quand j'écoutais tel mec, Hendrix ou Page ou Beck, qui faisait telle note à un moment, et cette note, quand elle arrivait, elle me mettait des poils partout, elle me mettait dans un état indescriptible, je n'ai eu de cesse de comprendre pourquoi. Je voulais connaître ce truc-là aussi. » Concrètement, Pietri passe donc des heures enfermé chez lui à écouter les guitar heroes de l'époque pour tenter de les imiter. « J'étais plus dans un trip stakhanoviste que masturbatoire, je pense. Je voulais être maître de mon instrument et mon idéal, c'était d'arriver à me pointer sur scène et que n'importe quelle idée qui me passe par la tête, vlan ! Que j'aie plus de barrière physique, technique. C'était ça mon but, c'était très égoïste. »

 

La scène, il ne tarde pas à y remonter. Après quelques plans incertains, il crée Contact en 70. Le groupe se consacre au bal, mais privilégie la pop au musette – Alvin Lee plutôt qu'Yvette Horner. Avec toujours un soin particulier apporté au look, en pleine période glam. Pourtant, Pietri ne s'épanouit pas complètement, le répertoire n'est pas assez rock à son goût. Avec Patrick Vacheron et un ancien copain de lycée aussi fou de guitare que lui, il monte en 1973 SOS, formation dans laquelle il restera jusqu'en 82. Une fois encore, si le groupe donne dans le baluche, il ne ressemble pas tout à fait aux orchestres qu'on y entend d'habitude : lorsque Pietri se lance dans d'interminables solos, le public subjugué en oublierait presque de danser. Patrick Foulhoux, fin connaisseur de la scène rock clermontoise, analyse le phénomène : « C’était la première fois qu’on voyait un orchestre de bal qui faisait un concert. Ils voyaient l’orchestre différemment. Mais c’était un groupe, au départ, SOS : ce n’était pas un orchestre. Eux, ils ont vraiment déclenché des vocations. Les gens les ont vus sur scène, ils se sont dit « C’est ce que je veux faire ! » C’est comme aux États-Unis avec Kiss. Tout le monde aux États-Unis adore Kiss : ce sont les Johnny Hallyday américains. C’est la culture populaire américaine. Ben, les Kiss Clermontois, c’est SOS, c’est un peu ça. »

 

Lorsque leur producteur leur joue un mauvais tour qui les laisse sur la paille, ils se réorientent vers un mélange pop-variété qui leur apporte succès et argent. Il faut dire que le groupe est bien emmené pas le fantasque et charismatique Boudu, qui assure la partie variété des concerts en entonnant des couplets tels que : « Je suis le feu-follet / Aux doux mollets / L'amour ne choisit jamais son côté / J'ai de la sympathie / Pour Adonis / Au siècle du culte / Du pénis. »

CONTACT-SOS

L'argent facile permet d'aller acheter ses fringues en Angleterre et ses guitares aux États-Unis, mais provoque des dissensions en interne. « Les groupes, c'est toujours le bordel à un moment ou à un autre et quand il y a du blé en commun, c'est toujours un merdier pas possible. » Des divergences de goûts ou d'ambitions, des contrats juteux loupés, une alchimie moins évidente... Pietri s'en va monter avec deux des autres membres un trio blues-rock texan pratiquant un boogie très inspiré par ZZ Top. Ceux qu'une publicité de l'époque surnomme « les trois killers du rock auvergnat » acquièrent une belle réputation qui dépasse les frontières de la région. Pietri considère aujourd'hui cette expérience comme la plus aboutie de son parcours : « El Diablo, c'était un putain de groupe, c'est le meilleur groupe avec lequel j'ai été, parce que on n'était plus un groupe, on était une entité. Musicalement, on était vraiment une entité et on jouait ensemble. Et ça, le dernier des incultes le sent. T'as la sensation de faire partie d'un rouleau-compresseur qui balaye tout sur son passage. On a des compositions, certaines, qui ont pas vieilli et qui sont des standards. Parce que les bonnes personnes, au bon moment ; la magie des groupes – là, y avait ça. »

EL DIABLO

El Diablo se sépare pourtant en 86, alors qu'un enregistrement en Angleterre était prévu. Son guitariste n'en sort pas indemne. Déçu qu'une pareille aventure humaine s'achève ainsi, il songe à arrêter la musique pour devenir luthier. C'est Jean-Louis Murat, avec qui il joue de temps à autre, qui l'incite à continuer. Pietri réagit alors comme après une histoire d'amour : « Comme quand tu te sépares avec une fille, je voulais plus faire quoi que ce soit qui ait un rapport avec le blues. J'ai tout brûlé, comme avec une gonzesse. » Il intègre donc en 87 une formation originale, au croisement du théâtre et de la musique, où les machines sont très présentes : Jeudi Noir. Stéphane Calipel, son initiateur, se souvient : « Un ami commun m'a conseillé de me rapprocher de Jérôme qui cherchait un chanteur. J'ai hésité, Jérôme Pietri était déjà un musicien réputé, on ne jouait pas dans la même catégorie. Et puis on évoluait dans des styles de musique très différents... D'un autre coté, j'avais besoin de progresser, de faire les choses de façon plus professionnelle. Au final, une belle rencontre ; on a partagé nos passions, échangé nos disques... Je suis reparti avec ZZ Top, Jérôme avec les Cure... On a composé des titres – en français – adopté un look très Film Noir, une belle aventure qui a durée deux ans. J'ai beaucoup d'affection pour Jérôme, c'est un être magique, hors du temps ! » Pietri s'amuse aussi de cette expérience qui l'amène à se renouveler, lui qui revendique fièrement une certaine détestation des machines. « Les machines, j'étais convaincu, je le suis toujours, qu'elles sont là pour aider l'être humain, mais en aucun cas pour se substituer à lui. Le problème, ça a été, déjà dans les années 80, la prépondérance des machines par rapport aux musiciens. Y a eu plein de rythmiques basse-batterie qui se sont retrouvées au chômedu, parce que c'était la mode. Cela dit y a eu des mecs de grand talent qui ont su utiliser les deux, Peter Gabriel par exemple. J'ai utilisé les machines à fond parce que je m'efforce, même actuellement, de pas avoir d'a priori. »

 

Malgré tout, il ne tarde pas à revenir à un style qui le touche davantage, en créant au tournant des années 90 le groupe Too Bad, qui évoluera d'un blues-rock classique vers un blues plus expérimental, flirtant avec le jazz-rock, notamment sous l'influence du batteur Pepou Mangiaracina, successeur de Christophe Pie. Si cette aventure offre à Pietri l'opportunité de devenir chanteur, après le départ prématuré de John Brassett, elle lui réclame beaucoup de travail, pour trouver des dates (mal payées) et assurer l'intermittence. Une période pas toujours rose, y compris sur le plan personnel. L'histoire se termine en 95 et la fin des années 90 semble difficile pour le musicien, qui enchaîne les projets alimentaires. « C'était déjà très, très dur pour la musique. J'ai divorcé, j'avais des mômes, donc je jouais, je jouais tout le temps. J'ai gagné ma vie en jouant de la musique, donc je vais pas pleurer, ça aurait pu être pire. Mais le problème, c'est que tu peux pas faire du travail sérieux de création. Pour que ça fonctionne, pour moi, il faut être dedans tous les jours. »

JEUDI NOIR-TOO BAD

Il retrouve l'enthousiasme dans les années 2000, notamment avec l'Hommage à Pink Floyd monté par Denis Clavaizolle et Yvon Baudy. Il y côtoie entre autres Fabienne Della-Moniqua, jeune chanteuse récemment aperçue sur TF1, où elle s'est fait remarquer précisément en reprenant un titre des Floyd, « A great gig in the sky ». « C'était normal qu'elle leur troue le cul, moi elle m'a troué le cul pendant des années. Chaque fois qu'elle chantait ça, j'avais les poils à côté d'elle. Fabienne, une putain de chanteuse, elle a tout le kit. » Il la retrouvera notamment sur le projet Soulville, qu'il monte et finance lui-même, pour le plaisir. « J'étais sûr que ça le ferait, parce que je suis convaincu que des gens qui maîtrisent leur instrument – ou bien leur voix, pour Fabienne –, y a pas besoin d'enculer les mouches, si ça doit le faire, ça va le faire. Donc, je voulais faire ce truc-là pour me faire plaisir, j'ai pris que des bons que je connaissais, qui avaient jamais joué ensemble et ça a fonctionné. »

HPF-SOULVILLE

 

Mais la décennie 00 est surtout celle du début de sa carrière solo et de son approfondissement d'une musique qu'il n'a au fond jamais cessé de pratiquer, le blues. Sans forcément s'en rendre compte lui-même, Pietri ayant été une sorte de M. Jourdain du blues, dont la prise de conscience s'effectua après un concert d'El Diablo en première partie de Blue Öyster Cult, grâce à des amis de son batteur. « Y en a un, très bon guitariste, plutôt jazz, qui me dit "Putain, t'es vachement blues toi quand même !". Je lui dis : "Ah bon ?" Et en rentrant, deux jours après, je réfléchis : "Qu'est-ce qu'il t'a dit, lui ?" et je me dis : "Attends, mais il a pas tort." » Pietri se découvre ainsi bluesman à trente berges. Et, comme à son habitude, il s'interroge et cherche à percer le mystère. « J'essaye de comprendre pourquoi le blues, le rock quand il vient du blues et tout ce qui vient du blues, ça me touche autant. Pourquoi cette musique ou les musiques qui en viennent en droite ligne et qui en possèdent les ingrédients, les fondamentaux, pourquoi cette musique me met les poils, même avec des textes débiles ? Je ne sais pas pourquoi. Alors la seule explication que j'ai, c'est que cette forme d'expression typiquement afro-américaine – c'est vraiment la musique des Afro-Américains, pas des Africains – qui est la somme de siècles de souffrance terrible, dégage une espèce de magie qui se transmet dès lors que les gens emploient ces aberrations harmoniques, ce groove, ces blue notes et tout. Et quand je l'entends, ça me aaaahhh ! » Quant au fait de ne pas être lui-même un Noir ayant vécu de telles souffrances, cela ne lui pose pas de gros soucis de légitimité. « Je suis sensible à ce qu'a dit Musset, "Les chants désespérés sont les chants les plus beaux". Je suis pas triste, je pense pas être quelqu'un de triste, ça n'a rien à voir. Keith Richards dit "Pour moi, le blues, c'est un langage universel, je ne fais pas de différence entre un bluesman ukrainien et un bluesman qui vient du Mississippi" et je suis complètement d'accord. Le blues, c'est un idiome, dès que tu ressens ce truc-là – l'important c'est de le ressentir – dès que tu le ressens, boum, il se passe un truc. »

 

Pietri étudie donc en profondeur la plupart des styles, utilise internet pour étoffer sa culture et suit la formation dispensée par Michael Hawkeye Herman qui lui permet d'aller enseigner dans les écoles pour communiquer sa passion aux enfants. L'étudiant Pietri se fait professeur. Cette volonté de transmission se concrétise aussi par la sortie en 2007 d'un premier album sous son nom, Little Blues Story, composé de reprises de morceaux de toutes les époques. Suivront des centaines de concerts en « One piece band », avec machine, puis sans. Ah, les machines... « J'ai un looper, je m'en suis servi à un moment, ça fait 2 ans que je l'amène plus. Les gens étaient épatés, parce que je faisais un bordel tout seul, c'était le Grand Orchestre du Splendid. Mais ça me faisait chier. Je préfère – c'est beaucoup plus difficile, beaucoup plus ingrat et beaucoup plus fatiguant – faire mon bazar tout seul avec mes petits doigts et mes gros pieds. Parce que j'ai moins de possibilités, je peux pas faire des harmonies, mais l'intérêt, c'est que je suis libre ! Je peux amener les gens où je veux et je peux nuancer. »

LITTLE BLUES STORY

Jouer seul est un choix qui peut surprendre de la part d'un musicien qui a évolué pendant si longtemps en groupe et qui prend un plaisir évident à partager la scène avec des collègues. « Quand t'es sur une scène avec une rythmique basse-batterie, c'est trop le pied ! Le summum, c'est quand tu as la complicité, t'as même plus besoin de parler, t'as un regard, un regard ou même pas, les mecs écoutent, il passe un truc et boum, tout de suite ça embraye. » Mais un choix qui peut aussi se comprendre pour des raisons humaines. Un parcours d'un demi-siècle n'est pas constitué que de belles rencontres. Il y a aussi les conflits, les ruptures ou, plus simplement, la distance qui s'installe sans qu'on sache vraiment pourquoi. « Je suis quelqu'un de trop sensible. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai fini par faire un orchestre tout seul. Y a plein de gens, j'ai été déçu de leur attitude et donc, maintenant, j'essaye, c'est vachement dur pour moi, mais j'essaye de plus mettre d'affect ou d'en mettre moins. Parce que les gens, aujourd'hui, une majorité de gens ne marche pas à l'affect. » Des déceptions humaines que contrebalancent la reconnaissance et la gratitude de plusieurs générations d'admirateurs. « Ce qui me touche le plus avec le recul, c'est que je rencontre encore régulièrement des gens qui me disent "Putain, on t'a suivi avec SOS ou avec El Diablo ou avec Too Bad, c'est à cause de toi qu'on fait de la musique, c'est toi qui nous a filé le virus !" Ça, ça fait du bien par où ça passe. » Et bien évidemment, restent présents dans son cœur de nombreux musiciens fréquentés au fil des ans à qui il rend volontiers hommage, tel Christian Boragno, sur lequel il ne tarit pas d'éloges, le considérant comme l'un des meilleurs batteurs du pays, Éric Atlan, récemment disparu, « un tueur des machines », Thomas Picot, côtoyé dans Too Bad, « un extra-terrestre, un espèce de Jaco Pastorius rock n' roll » et beaucoup d'autres. Ou son vieux pote François Blanc, qui l'accompagnait lors du concert de lancement de son nouvel album. « On joue ensemble par intermittence depuis pratiquement 20 ans, il est excellent, il est d'enfer. François et moi, on s'éclate, on joue tous les deux, on joue ensemble. Puis là, ça m'a touché, il m'a dit "Ça me fait plaisir qu'on fasse de la musique tous les deux." Et il était content, il m'a remercié. Il m'a rappelé le lendemain, le surlendemain, le batteur aussi, donc ça m'a touché. »

DOMAS-BLANC

Seul ou bien entouré, Pietri continue donc son parcours d'apprenti-musicien, avec le même perfectionnisme et la même rigueur. « C'est les petits détails dans l'interprétation qui font les grosses différences, qui font que ça tue ou que c'est pas mal. Et moi je suis taré, moi je veux que ça tue, le reste ça m'intéresse pas. Je m'en branle que ça soit pas mal. J'ai toujours été comme ça, je serai toujours comme ça. Je me prends pas au sérieux, mais je suis très exigeant. » Du coup, le doyen du rock auvergnat n'a aucune envie de ralentir. « J'ai conscience d'être un privilégié, d'avoir vachement de chance, parce que je suis encore là, je suis pas trop esquinté, j'ai fait gaffe – entre autres grâce à Murat, qui faisait l'apologie du sport, il avait bien raison, je vais courir tous les jours à cause de lui (rire). Oui, j'ai conscience d'être privilégié, parce que j'ai encore la santé, je fais tout ce que je peux pour la maintenir, parce que j'ai l'intention de jouer et faire de la musique le plus longtemps possible, ça m'éclate trop. Et j'ai conscience d'être privilégié parce que – certains me prennent pour un fou et un anormal, surtout dans la société d'aujourd'hui – mais j'ai toujours 15 balais dans ma tête, j'ai gardé l'enthousiasme intact pour la musique et pour la pêche ». Et lorsqu'il note en passant, « J'ai pas encore fini », il part d'un grand éclat de rire qui en dit long sur sa motivation. Rien d'étonnant, dès lors, à le voir afficher des envies surprenantes à l'âge de la retraite. « Un de ces quatre, je vais jouer du Miles Davis, j'ai envie, j'adore ça. »

On l'en croit capable.

 

 

M.

 

 

 

LE LIEN EN PLUS:

 

Un survol de la carrière de Jérôme Pietri en quelques images (via une mise en image par M:

 

 

 

2e partie de l'entretien centrée sur Murat: http://www.surjeanlouismurat.com/article-inter-vious-et-murat-n-16-jerome-pietri-au-coeur-de-passions-privees-123878338.html

On peut retrouver plus d'informations sur le musicien et sur son travail sur son site officiel :

 http://www.jeromepietri.eu/

 

  et sur sa page Facebook :

 https://fr-fr.facebook.com/jeromepietriblues

 

   M. :"De nombreuses personnes ont contribué à la réalisation de ce dossier consacré à Jérôme Pietri, elles seront mentionnées et remerciées dans la rubrique « Commentaires » de cet article, où les lecteurs qui ont des souvenirs personnels (de spectateurs et/ou de musiciens) concernant Jérôme sont invités à les partager et à s'exprimer en toute liberté. Don't be shy !"

 

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Pour rappel: Le livre Une histoire du rock à Clermont  commenté par M. 

On voit Jérôme Pietri dans le documentaire "chroniques d'en haut"  consacré au pays muratien.

 

Pour acheter:  https://www.fnac.com/ia3125356/Jerome-Pietri       

Pour suivre:  https://www.facebook.com/jeromepietriblues/                                       

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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